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L’effet Balassa-Samuelson (Fiche concept)

L’effet Balassa-Samuelson, B.Bela Balassa et P. Samuelson (1964)

Vous vous demandez peut-être pourquoi se faire couper les cheveux en Thaïlande coûte moins cher qu’en France. C’est vrai, après tout, une coupe de cheveux demande autant de temps et de précision au coiffeur thaïlandais qu’au coiffeur français. Alors comment expliquer cette différence de prix ?

L’effet Balassa-Samuelson, développé par Bela Balassa et Paul Samuelson, nous apporte quelques éléments de réponse. L’œuvre de Bela Balassa, économiste hongrois, diplômé de l’Université de Yale, se concentre sur les thèmes du commerce international et du développement économique. Paul Samuelson, prix Nobel d’économie en 1970, est à l’origine de la synthèse néo-classique, reprenant les enseignements de Keynes en macroéconomie et ceux des néoclassiques en microéconomie. Les travaux de ce professeur au Massachussetts Institute of Technology (MIT) ont enrichi diverses sphères de la théorie économique. Lui-même se présentait comme le « dernier généraliste de l’économie ». C’est en 1964, à travers deux contributions1 distinctes, que ces auteurs mettent en évidence l’effet Balassa-Samuelson.

Pour le comprendre, considérons deux pays, l’un développé et l’autre émergent. Chaque pays est composé d’un secteur exposé à la concurrence internationale, dans lequel les biens sont dits « échangeables », et d’un secteur abrité de la concurrence internationale, où les biens et services sont dits « non-échangeables ». Considérons, par exemple, le secteur automobile et le secteur de la coiffure. Le premier est exposé à la concurrence internationale et le second en est protégé. Il est en effet plus facile d’importer des pièces automobiles qu’une coupe de cheveux.

Le cœur de l’effet Balassa-Samuelson est d’expliquer les différences de prix entre pays développés et pays émergents par des écarts de productivité dans le secteur exposé à la concurrence internationale. En effet, dans le secteur abrité de la concurrence internationale, les auteurs considèrent que la productivité du travail est sensiblement la même dans les deux pays. C’est l’exemple du coiffeur évoqué précédemment. En revanche, dans le secteur des biens échangeables, le pays développé dispose d’un avantage en termes de progrès technique, la productivité du travail y est de fait, plus importante.

Dans le secteur exposé à la concurrence internationale, la loi du prix unique s’applique. Pour proposer le même prix que leurs homologues des pays développés, les pays émergents répercutent leur retard de productivité en versant des salaires plus faibles aux employés de ce secteur. Puisque les travailleurs sont considérés comme mobiles entre les secteurs d’un même pays, les faibles salaires se répercutent également dans le secteur abrité de la concurrence internationale, pour limiter les opportunités d’arbitrage. Par conséquent, les employés du secteur abrité de la concurrence internationale perçoivent une rémunération plus faible dans les pays émergents que dans les pays développés, malgré une productivité similaire. C’est la raison pour laquelle les prix y sont plus faibles.

Lors du processus de développement économique, les pays émergents rattrapent leur retard de productivité dans le secteur exposé à la concurrence internationale. Les salaires augmentent ainsi au même rythme que la productivité du travail et la loi du prix unique reste vérifiée. À nouveau, pour limiter les opportunités d’arbitrage des travailleurs entre les secteurs, la hausse des salaires se répercute dans le secteur des biens non-échangeables. À productivité inchangée, la hausse des salaires se traduit par une hausse des prix dans ce secteur. Si l’on reprend notre exemple, lors du rattrapage économique, les employés du secteur automobile voient leurs salaires croître au même rythme que les gains de productivité du secteur. Dans le même temps, les employés du secteur de la coiffure voient leur rémunération augmenter et ce, alors même qu’ils n’ont pas gagné en productivité. La hausse des salaires qui ne résulte pas d’un gain de productivité se répercute sur les prix et le prix de la coupe de cheveux augmente.

De manière générale, lors du rattrapage économique, les pays émergents verraient leur niveau général des prix augmenter du fait de ce mécanisme. L’effet Balassa-Samuelson traduit ainsi une appréciation du taux de change réel, à savoir le rapport des prix d’un même panier de biens et services d’un ou plusieurs pays, exprimés dans la même monnaie. Si la théorie est élégante, sa validation empirique semble moins évidente. En effet, elle suppose, entre autres, « qu’à long terme, les écarts de prix sont constants au moins dans les secteurs exposés à la concurrence internationale »2, ce qui ne semble pas vérifié empiriquement3. De plus, la théorie suppose la neutralité des agents vis-à-vis du risque et de ce fait, ne tient pas compte de l’endettement des pays vis-à-vis du reste du monde. En pratique, un pays avec un endettement excessif pourrait s’exposer à la défiance des investisseurs et voir sa monnaie se déprécier. Si l’effet Balassa-Samuelson nous fournit un cadre de pensée pour appréhender les différences de prix entre pays développés et émergents, il faut néanmoins l’interpréter avec précaution.

Rose Portier

Note :

La loi du prix unique stipule qu’au sein d’un marché parfait, un même bien doit avoir le même prix en tout point du marché.

 

Références : 

Balassa B. (1964), « The Purchasing Power Doctrine: A Reappraisal », Journal of Political Economy, vol. 72, p. 584-596.

Samuelson P. (1964), « Theoretical Notes on Trade Problems », The Review of Economic and Statistics, vol. 46, n° 2, p. 145-154.

Benassy-Quere A., Economie monétaire internationale, Deuxième édition, Economica, Corpus Economie, 2015

Duval R., Taux de change réel et effet Balassa-Samuelson, Économie internationale 2001/1 (n° 85), pages 101 à 128, https://www.cairn.info/revue-economie-internationale-2001-1-page-101.htm?contenu=resume

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