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Le Haut Conseil des Finances Publiques (Article)

Pour répondre à la crise sanitaire, en France comme dans le reste du monde, les gouvernements sont conduits à déployer des plans massifs de soutien à l’économie, impliquant une augmentation notable des dépenses publiques. Si la réponse budgétaire des gouvernements est une nécessité absolue pour affronter la crise, cela n’est pas sans susciter quelques interrogations quant à leur situation financière et leur capacité future à réduire leur endettement pour respecter leurs engagements, notamment vis-à-vis des traités européens.

C’est dans ce contexte de crise sanitaire que le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) a adopté, après avoir délibéré lors de sa séance du 21 septembre 2020, son avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2021 (1). Créée en 2012, cette institution porte, via le travail d’experts, un regard indépendant sur la conformité des Lois de Programmation de Finances Publiques (LPFP) aux engagements européens ainsi que sur la trajectoire du solde structurel. Dans l’avis mentionné précédemment, le HCFP juge les soldes publics nominaux prévus pour 2020 et 2021 (respectivement -10,2 et -6,7 points de PIB) comme atteignables, mais entourés d’une forte incertitude liée au contexte économique et sanitaire. Ainsi, par son action, le HCFP joue en quelque sorte, le rôle de garde-fou des prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement français.

Néanmoins, la présence de telles institutions suscite parfois des réticences de la part de certains acteurs qui craignent une potentielle réduction des marges de manœuvre de l’État et la diffusion d’une certaine frilosité à l’égard de l’endettement public. On peut notamment faire référence à la création du « Conseil citoyen des finances publiques » en 2013, à l’initiative des Économistes Atterrés, d’Attac et de la Fondation Copernic (2). En effet, le HCFP veille au bon respect des engagements de l’Etat français en matière de finances publiques. Le Gouvernement pourrait donc opter pour des politiques budgétaires restrictives si les indicateurs clés venaient à s’éloigner de leur cible.

Pour autant, les avis rendus par le HCFP au sujet des prévisions du Gouvernement le sont seulement à titre consultatif et ne l’empêchent pas d’agir. En outre, le HCFP ne vérifie que le respect des engagements pris par l’État lui-même à travers les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques. Ainsi, dans la mesure où le HCFP ne dispose pas d’un pouvoir juridiquement contraignant, quel est donc son rôle au sein de l’économie et quelles sont les conséquences de ses avis ?

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la nécessité de disposer d’un regard indépendant sur les prévisions du Gouvernement. Puis, dans un second temps, nous expliquerons que le rôle d’informateur indépendant du HCFP permet de garantir une certaine confiance des citoyens dans la gestion des finances publiques. Nous veillerons, dans ces deux parties, à expliciter les implications économiques des avis rendus par le HCFP.

I – La nécessité d’un regard indépendant sur les prévisions économiques et de finances publiques du Gouvernement

A. Une institution indépendante qui répond aux exigences des traités européens

Le 2 mars 2012, les États membres de l’Union économique et monétaire ont signé le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Ce traité impose à chaque signataire de mettre en place une institution budgétaire indépendante (IBI). La loi organique n°2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a alors institué le HCFP, organisme budgétaire indépendant placé auprès de la Cour des comptes, afin de répondre aux exigences européennes. Il a véritablement pris ses fonctions en mars 2013 suite à la publication de son règlement intérieur et a rendu son premier avis en avril de la même année. La création des IBI répond à la nécessité d’instaurer des institutions chargées de surveiller la gestion des finances publiques, dans l’objectif de prévenir les risques de perte de contrôle des dettes et déficits publics.

Au regard de la loi organique de 2012, le HCFP se voit attribuer deux missions principales. La première consiste à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques retenues par le Gouvernement afin de juger de leur réalisme. Pour ce faire, ses membres analysent la situation macroéconomique et la comparent au plan établi par le Gouvernement dans son projet de loi de finances. Par exemple, dans l’avis rendu le 28 septembre 2020 au sujet du projet de loi de finances 2021, le Haut Conseil analyse les prévisions faites par le Gouvernement en matière de croissance de l’activité, d’inflation, d’emploi ainsi que de masse salariale du secteur privé. Il en ressort que les prévisions faites par le Gouvernement ne s’éloignent pas considérablement des estimations dont dispose le Haut Conseil. En effet, ce dernier estime que « la prévision d’activité́ pour 2020 est prudente et, à l’inverse, que l’ampleur du rebond prévu pour 2021 est volontariste ». En ce qui concerne l’inflation, le Haut Conseil considère les prévisions du Gouvernement comme “plausibles”. Les conclusions sont similaires pour les prévisions d’emploi et de masse salariale. Ainsi, les analyses macroéconomiques faites par le Gouvernement dans le cadre de l’élaboration du projet de loi de finances paraissent réalistes selon les appréciations du Haut Conseil.

La seconde mission du HCFP consiste à se prononcer sur la cohérence de la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques avec la loi de programmation des finances publiques en vigueur, celle-ci devant être compatible avec les engagements européens de la France. En effet, les objectifs annuels de déficit public doivent être en adéquation avec les objectifs pluriannuels de finances publiques qui ont préalablement été déterminés en cohérence avec les engagements européens, comme par exemple, converger vers un déficit structurel de 0.5 point de PIB à moyen terme. Pour ce faire, le Haut Conseil donne son avis sur la cohérence des prévisions de solde public des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale ainsi que dans les projets de lois de programmation des finances publiques.

Les lois de programmation des finances publiques s’étalent sur une durée minimale de trois ans. Elles précisent les objectifs à moyen terme par le biais d’une cible de solde structurel des comptes de l’ensemble des administrations publiques. L’article liminaire des lois de finances actualise ensuite la prévision de solde structurel du Gouvernement et les lois de règlement constatent le solde structurel finalement atteint. En cas d’écart important à l’objectif de solde structurel de la loi de programmation, un mécanisme de correction doit être actionné. Cela consiste, entre autres, à prévoir la mise en œuvre de mesures dites de redressement, dont le Gouvernement doit tenir compte dans son prochain projet de loi de finances, afin de revenir à la trajectoire de solde structurel initialement prévue.

B. Le garant de prévisions macroéconomiques indépendantes et raisonnables

Le HCFP fournit une contre-expertise nécessaire aux prévisions du Gouvernement et ce, dans la mesure où le risque d’erreur ou de biais politique dans les analyses de ce dernier n’est jamais nul. En effet, au cours des années 1960, ont émergé des théories économiques libérales selon lesquelles les représentants de l’Etat agiraient dans l’intérêt personnel de se faire réélire. Cela passerait notamment par des promesses de politiques publiques qui flattent les électeurs mais qui sont difficilement tenables en réalité. C’est tout l’objet de la théorie du Public Choice, développée en 1962 par G. Tullock et J. Buchanan. Dans notre cas, le Gouvernement pourrait avoir intérêt à communiquer sur des performances économiques trop optimistes, par exemple en matière de croissance économique ou de réduction du déficit public, gonflant ainsi artificiellement ses marges de manœuvre budgétaire. Cela souligne alors la nécessité d’institutions comme le HCFP, dont les avis sont indépendants du Gouvernement et de fait, des intentions politiques de ses représentants. À titre d’exemple, dans son premier avis rendu en 2013, le HCFP considère, à raison, que les prévisions du Gouvernement en matière d’emplois sont trop optimistes. Ce constat n’était sans doute pas sans lien avec l’objectif de réduction du chômage affiché par le Président en poste.

Depuis la création du HCFP, on observe une réduction du biais optimiste dans la programmation pluriannuelle des finances publiques du Gouvernement (3). Cela désigne par exemple le fait, pour le Gouvernement, d’anticiper un redressement du solde budgétaire supérieur à ce qu’il est raisonnable d’envisager, au regard des moyens effectivement déployés pour atteindre ce redressement. Dans les faits, la France a reporté ses efforts de consolidation budgétaire et n’a pas atteint ses objectifs dérivant de ses engagements européens. La dette publique est ainsi passée de 58,3 points de PIB en 2001 à 98,4 points de PIB en 2017 (4), pour atteindre 115,7 points en 2020, soit bien au-delà des 60 points du traité de Maastricht (1992).

Cela étant, l’existence d’un potentiel biais optimiste ne doit pas conduire à ignorer les difficultés inhérentes à l’estimation de la croissance potentielle, de l’écart de production et du solde structurel qui peuvent également être sources d’erreurs dans les prévisions du Gouvernement. En effet, ces estimations sont très sensibles aux méthodes statistiques et de fait, entourées d’incertitudes. Dans l’objectif d’améliorer les prévisions du Gouvernement, le HCFP souligne, dans son rapport d’activité 2015-2018, l’importance d’intégrer d’autres indicateurs, plus significatifs, comme l’ajustement structurel et l’effort structurel. Par ses recommandations, le HCFP concourt ainsi à l’amélioration des méthodes d’analyse des finances publiques.

II – Un rôle d’informateur indépendant, garant de la confiance dans la gestion des finances publiques

A. Une communication transparente sur la gestion des finances publiques

Au même titre que l’indépendance, la transparence est l’une des valeurs affichées par le HCFP. C’est un élément clé pour assurer la confiance des citoyens dans une telle institution. En pratique, la transparence du HCFP se manifeste d’une part, par l’obligation, pour ses membres, de fournir une déclaration d’intérêts sur « les fonctions qu’ils exercent par ailleurs et qui pourraient potentiellement les placer en position de conflits d’intérêts ». Cette déclaration est remise au Premier président de la Cour des comptes, au moment de leur nomination, avant d’être rendue publique. D’autre part, la transparence du HCFP se manifeste par la publication de ses avis directement sur son site internet. Entre 2013 et 2021, le HCFP a ainsi publié plus d’une quarantaine d’avis.

Si les avis rendus par le HCFP n’ont pas un pouvoir contraignant, ils permettent une communication transparente sur la gestion des finances publiques auprès des citoyennes et des citoyens. La transparence et l’indépendance du HCFP répondent alors à l’enjeu démocratique qui consiste à permettre aux citoyens de s’informer, de se forger une opinion personnelle quant aux politiques menées en matière de finances publiques et aux enjeux qui s’y rapportent. Elles sont une condition nécessaire au renforcement de la confiance des citoyens dans les institutions publiques. A titre d’exemple, dans son avis relatif au projet de loi de finances rectificative 4 (PLFR4), sur la base du rapport économique social et financier (RESF) pour 2021 (5), le HCFP commente les estimations du Gouvernement relatives aux mesures de soutien affectant le déficit public. En ce sens, le HCFP fournit un éclairage essentiel sur la gestion des dépenses publiques déployées pour répondre à la crise sanitaire.

B. Une crédibilité qui permettrait d’ancrer les anticipations des acteurs économiques

La transparence du HCFP ainsi que sa nature indépendante lui confèrent une certaine crédibilité auprès des décideurs économiques et sont des vecteurs de confiance. Cette confiance est un élément clé dans la mesure où elle permettrait de réduire l’incertitude et d’ancrer les anticipations. C’est un enjeu d’autant plus important que l’efficacité des politiques publiques est bien souvent conditionnée par les anticipations établies quant à la conjoncture économique future, du moins dans la théorie économique. Chez Friedman (1968) par exemple, dans la courbe de Phillips augmentée des anticipations, la politique monétaire n’aurait qu’un effet inflationniste à long terme. Chez Keynes et c’est l’idée que l’on retrouve dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), si les perspectives de profit des entreprises sont faibles i.e. si la demande anticipée est faible, elles ne seront pas enclines à embaucher. In fine, la faible demande de travail des entreprises se répercuterait négativement sur la capacité de dépense des ménages et de fait, sur le profit des entreprises. Les anticipations seraient alors auto-réalisatrices. Par ailleurs, en situation d’incertitude, le comportement des agents se fonderait davantage sur leurs croyances que sur la base d’informations objectives. Les décisions d’investissement de long terme notamment, seraient bien davantage la conséquence d’“esprits animaux”, d’un “besoin spontané d’agir”, que d’un processus de réflexion rationnel.

Un des enjeux autour d’institutions telles que le HCFP serait alors de parvenir à ancrer les anticipations des décideurs économiques, de les convaincre que la gestion des finances publiques sera durablement prudente. De cette manière, les investisseurs pourraient se trouver plus enclins à prêter à l’État, puisqu’ils auraient durablement confiance en sa capacité à honorer ses engagements. En d’autres termes, cela pourrait créer un cercle vertueux et permettre de réduire la prime de risque exigée par les investisseurs, de baisser le taux d’intérêt de la dette et, de fait, de faciliter son remboursement (6). Par ailleurs, en partageant des informations de manière transparente et indépendante, le HCFP permettrait aux agents économiques de fonder leurs décisions sur la base d’informations objectives et, en un sens, de réduire la part de ces décisions qui pourraient être dictée par des croyances non avérées.

Si le HCFP peut permettre d’ancrer les anticipations des acteurs économiques sur une gestion durablement prudente des finances publiques, il convient de ne pas ignorer la nécessité de l’endettement public, notamment en temps de crise. Les mesures de soutien à l’économie actuellement déployées par le Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire s’inscrivent dans cette logique (470 milliards pour les mesures d’urgence dont 300 milliards au titre des prêts garantis par l’État). Ce sont des mesures nécessaires pour soutenir les secteurs les plus touchés par la crise, prévenir les faillites d’entreprises et préserver l’emploi. En ce sens, la politique budgétaire joue de manière contracyclique pour favoriser la résilience de l’économie et lui permettre de regagner le sentier de la croissance une fois la crise passée. L’avis du HCFP publié en septembre 2020 souligne également que les plans de relance budgétaire des partenaires commerciaux de la France devraient contribuer à la reprise de l’activité économique par le biais d’une hausse de la demande extérieure. Parallèlement, la politique monétaire extrêmement accommodante de la Banque Centrale Européenne (BCE) constitue un soutien considérable aux économies de la zone euro. Une fois la crise passée, les questions relatives à la « consolidation budgétaire » pourraient refaire surface, et ce, dans la mesure où la capacité d’endettement des États n’est pas infinie. En effet, elle est conditionnée par le niveau des taux d’intérêt qui pourraient ne pas rester faibles durablement.

Conclusion

Ainsi, si les avis du HCFP sont rendus à titre informatif, ils peuvent être le signal d’une gestion prudente et attentive des finances publiques lorsqu’ils sont favorables. Le HCFP fournit une contre-expertise nécessaire des prévisions du Gouvernement et veille au bon respect de ses engagements en matière de finances publiques. L’indépendance et la transparence de l’institution sont également des vecteurs clés pour susciter la confiance des citoyens et leur permettre de disposer d’informations objectives. De fait, le HCFP remplit aussi bien un rôle économique, en veillant à la trajectoire des finances publiques, que démocratique, en informant les citoyens ou tout au moins les leaders d’opinion.

Enfin, le HCFP fait partie d’un réseau plus large d’institutions budgétaires indépendantes de l’Union européenne, constitué en 2013 pour échanger, entre autres, sur leurs pratiques et les difficultés rencontrées dans l’exercice de leurs missions. Les réunions de ce réseau soulèvent des problématiques d’actualité telles que la simplification et la rénovation du cadre budgétaire européen. L’aboutissement des réflexions menées en leur sein pourrait fournir une aide à la décision pour repenser les règles budgétaires européennes afin de mieux les adapter aux problématiques économiques actuelles.

Marion Chadal, Hana Maazoun, Rose Portier

 

Références

[1] : Avis n° HCFP – 2020 – 5 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2021, 21 septembre 2020, https://www.hcfp.fr/sites/default/files/2020-09/Avis%20HCFP-2020-5%20PLF-PLFSS%202021.pdf

[2] : Le dernier avis rendu par le Conseil citoyen des finances publiques remonte à 2013. https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/articles/le-conseil-citoyen-des-finances-publiques-repond-au-haut-conseil

[3] : Rapport d’activité 2015-2018, Haut Conseil des Finances Publiques, https://www.hcfp.fr/sites/default/files/2019-04/Rapport-Activite-HCFP-2015-2018_0.pdf

[4] : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238363?sommaire=4238781#tableau-figure3

[5]: Avis n° HCFP-2020-6 relatif au 4ème projet de loi de finances rectificative pour l’année 2020, 2 novembre 2020 https://www.hcfp.fr/sites/default/files/2020-11/Avis%20HCFP%202020-6%20-%20PLFR4.pdf

[6] : Cela étant, en France ce n’est pas un mécanisme pertinent : aujourd’hui, malgré des finances publiques qui n’ont cessé de se dégrader depuis un demi-siècle, au regard des engagements européens, la France paie des primes de risque très faibles.

Pour aller plus loin :

Fipeco, « Le Haut Conseil des Finances Publiques », le 30 novembre 2019, https://www.fipeco.fr/fiche/Le-Haut-Conseil-des-finances-publiques

Fipeco, « Le PIB potentiel et la croissance potentielle », le 10 juin 2020, https://www.fipeco.fr/fiche/Le-PIB-potentiel-et-la-croissance-potentielle

Fipeco, « Le solde structurel », le 10 juin 2020, https://www.fipeco.fr/fiche/Le-solde-structurel

Fipeco, « L’effort structurel », le 10 juin 2020,  https://www.fipeco.fr/fiche/Leffort-structurel