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Le paradoxe de la crédibilité (Fiche concept)

Le paradoxe de la crédibilité, Claudio Borio (2003) 

Le paradoxe de la crédibilité est un concept introduit par Claudio Borio en 2003, économiste diplômé d’un doctorat en économie de l’université d’Oxford. Il est aujourd’hui le chef du département monétaire et économique de la Banque des règlements internationaux, institution chargée de la coopération des banques centrales.

Le paradoxe de la crédibilité met en évidence que la stabilité des prix peut nuire à la stabilité financière. En affirmant que « maîtriser l’inflation peut contribuer à des modifications dans la dynamique du système susceptibles de dissimuler les risques auxquels l’économie est exposée », Claudio Borio explique qu’une inflation trop faible et stable dans le temps induite par une politique monétaire crédible, entretient un sentiment exagéré de sécurité et modifie le comportement des agents.

L’inflation est un phénomène qui se produit lorsque la demande de biens et services émanant des agents de l’économie (ménages, entreprises, État,…) excède l’offre des entreprises. Avec le même nombre d’unités monétaires, les agents achètent moins de biens. Afin de lutter contre ce phénomène, les  banques centrales ont dans la plupart des pays pour mission d’assurer la stabilité des prix des biens et des services vendus dans l’économie. Afin d’honorer son mandat, une banque centrale dispose principalement d’un outil : le taux d’intérêt. Dans le cadre de la politique monétaire, la banque centrale fait varier ce taux afin d’influer sur la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Lorsque l’inflation fait rage dans une économie, la banque centrale maintient un taux d’intérêt élevé afin de réduire la quantité de monnaie en circulation. Ainsi les banques commerciales répercutent ce coût de financement, en augmentant le taux d’intérêt des crédits octroyés aux ménages et aux entreprises, de sorte à freiner la consommation et l’investissement. Au-delà de la variation du taux d’intérêt, la lutte contre l’inflation sera d’autant plus efficace qu’une banque centrale est crédible.

Après une longue période de tensions inflationnistes déstabilisatrices depuis la sortie de la guerre, le milieu des années 1990 marque l’entrée des pays développés dans “La grande modération”. Cette période est caractérisée par un niveau d’inflation historiquement faible, considéré comme le résultat des progrès accomplis par les autorités monétaires en matière de crédibilité. La crédibilité d’une banque centrale réside dans la confiance que les agents et les marchés accordent à la concomitance entre la communication et les actions de cette dernière. Si la banque centrale est crédible, les agents estiment qu’elle respectera ses engagements ce qui leur permet alors d’ancrer leurs anticipations dans la conduite de la politique monétaire. C’est ici que réside le paradoxe de la crédibilité : une banque centrale crédible, qui assure la stabilité des prix en luttant efficacement contre l’inflation à moyen-long terme, pousse finalement les agents, confiants dans l’avenir de la monnaie et désireux d’investir, à prendre des risques et à s’endetter de manière excessive. Le paradoxe de la crédibilité rejoint le « paradoxe de la tranquillité » [i] mis en évidence dans les années 1970 par Hyman Minsky. C’est dans les périodes “de tranquillité » autrement dit d’accès au crédit et de faible inflation incitant les agents à s’endetter et à prendre des risques de manière excessive, que prend racine l’instabilité financière intrinsèque aux systèmes financiers. En effet, un endettement généralisé et des prises de risques excessives font peser de lourdes conséquences sur la stabilité financière et in fine sur la stabilité économique. Jusqu’au point de retournement du cycle financier, les risques sont dissimulés et alimentés par un une facilité d’accès au crédit permise grâce aux taux bas. Mais au moment du retournement, la banque centrale relève son taux d’intérêt ce qui a pour conséquence de fermer le robinet du crédit jusque-là grand ouvert. Les financements sont soudainement coupés, les investissements risqués n’offrent finalement pas de rendements aussi importants que les agents ne l’espéraient, ces derniers cherchent à se désendetter massivement et c’est alors que se met en place le mécanisme de déflation par la dette mis en exergue par l’économiste Irving Fisher [ii], aux effets dévastateurs pour l’économie réelle.

Quelques années après la publication des travaux de Claudio Borio, la crise financière globale de 2008  a effectivement germé dans un contexte macroéconomique de faible inflation impulsé par la politique monétaire extrêmement accommodante de la FED, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Cette longue période de stabilité des prix induite par des taux d’intérêt historiquement faible, s’est révélée particulièrement préjudiciable à la stabilité financière. La crise financière a fait ressurgir la question de la conciliation des objectifs de stabilité monétaire et stabilité financière. La plupart des banques centrales poursuivent un objectif de stabilité des prix même si en pratique, elles ne peuvent rester de marbre face à l’instabilité financière. En 2008, les banques centrales se sont substituées au marché interbancaire pour permettre aux banques de se refinancer et éviter ainsi des faillites bancaires en chaîne. En 2010, la BCE a évité l’éclatement de la zone euro en rachetant sur le marché secondaire les titres de dettes souveraines grecques permettant ainsi de rassurer les marchés. De nombreux économistes plaident en faveur d’un élargissement des objectifs de la banque centrale, notamment en matière de stabilité financière. En effet, Borio explique que les autorités monétaires ne peuvent se focaliser que sur le seul contrôle de l’inflation. Elles doivent réagir moins tardivement lors du cycle financier, en resserrant préventivement la politique monétaire lors de la phase haute du cycle financier, même si l’inflation semble stable à moyen terme.

Finalement, à trop œuvrer pour la stabilité des prix, les banques centrales ont créé un environnement propice à l’instabilité financière à travers les canaux de la prise de risques et de l’endettement. La crédibilité acquise par les banques centrales dès la fin des années 1990 a poussé les agents à ancrer leur anticipations dans la conduite de la politique monétaire, particulièrement accommodante. Confiants dans la valeur future de la monnaie, les agents ont pris plus de risques et se sont largement endettés grâce aux taux bas, aggravant la propagation de la crise financière. La crédibilité d’une banque centrale revête donc un caractère paradoxal, préjudiciable à la stabilité financière, comme l’a démontré la crise globale de 2008.

 Chloé Lanéry

Notes :

[i]https://partageonsleco.com/2019/10/07/le-paradoxe-de-la-tranquillite-hyman-minsky/

[ii] https://partageonsleco.com/2020/09/21/la-deflation-par-la-dette-irving-fisher-fiche-concept/

 

Références : 

Couppey-Soubeyran J., « Monnaie, Banque, Finance”, PUF Édition, 2009.