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Les IDE sortants de la Chine (Graphique)

La description de l’essor économique de la Chine depuis la fin des années 1970 souligne l’importance de la politique commerciale pour soutenir la croissance du PIB. Les chiffres fulgurants de sa croissance (plus de 10 % par an durant trois décennies) sont notamment dus à une politique d’ouverture économique – contrôlée par l’Etat – et une spécialisation dans les productions de main d’œuvre peu qualifiée. Après cet essor, la Chine a dû faire face à de nombreux défis : questionnements des nations au sujet de la mauvaise appréciation du Yuan par rapport aux monnaies étrangères, disparités régionales entre ses régions côtières et ses régions centrales et méfiance grandissante de grandes puissances comme les Etats-Unis ou l’Inde. Cette réussite économique ainsi que les problématiques qui en découlent coïncident avec une concentration des capitaux mondiaux dans les régions côtières de la Chine. Si les problèmes liés à une telle position dans le système économique sont apparus principalement dans les années 2000, le gouvernement chinois de Deng Xiaoping avait initié une volonté d’investissement à l’étranger dès 1992 [i]. La politique d’investissement à l’étranger se construit à partir de 1999 : la Go Out Policy qui visait notamment le développement dans les secteurs de l’énergie, de la technologie ainsi que l’image et la notoriété des champions nationaux chinois à l’étranger [ii]. On arrive alors dans un deuxième volet de sa politique de commerce internationale, celle des investissements directs à l’étranger massifs de la Chine vers le reste du monde. Le graphique permettant d’amener notre analyse montre l’évolution des IDE sortants de la Chine depuis les années 2000 par rapport aux IDE entrants. Si on remarque que les IDE sortants sont devenus plus importants que ceux entrants, notre analyse va tenter de comprendre d’abord pourquoi ces derniers arrivent si tardivement, sous quelles formes et quelles sont les motivations des investisseurs chinois à l’étranger. Ensuite, on prendra un peu de recul par rapport au stock d’IDE sortants détenu par la Chine par rapport à celui des Etats-Unis.

En premier lieu, si les IDE sortants étaient proches de zéro au début des années 2000, ce n’est pas tant un manque de volonté des investisseurs chinois qui l’explique mais plus la non-convertibilité du Yuan et l’interdiction d’investir à l’étranger (avec des outils bancaires et législatifs). Il était presque impossible pour un investisseur chinois détenteur de capitaux en Yuan, de convertir sa monnaie en devises étrangères pour lui permettre d’investir à l’étranger [iii]. Cela a créé entre autres le problème de l’appréciation du yuan par rapport aux autres monnaies : les réserves de change étant de plus en plus importantes et la demande de la Chine en devises étrangères étant trop faible, les IDE sortants paraissaient être un frein à cette appréciation potentiellement regrettable. Il y eut alors une flexibilisation progressive de 2003 à 2009 dans la législation chinoise et les possibilités bancaires. On observe alors que les IDE augmentent particulièrement suite à cette vague de mesures simplificatrices et que les IDE sortants dépassent même les IDE entrants à partir de … Enfin, à titre d’illustration frappante, si en 2003 les IDE sortants étaient de 2 854,65 millions de dollars, ils étaient de 56 528,99 millions en 2009 et de 143 040 millions en 2018 !

Mais sous quelle forme ces IDE se mettent-ils en place ? Dans leur article Investissements chinois sortant de Chine : quelles en sont les motivations ? Dominique Jolly et Bernard Belloc [iv] expliquent que ces IDE chinois se font de manière bien différente par rapport aux investissements occidentaux. Si dans les conceptions occidentales, on observe la qualité d’un investissement par rapport à sa rentabilité, les investisseurs chinois prennent d’autres critères en considération. En effet, les IDE chinois semblent se tourner vers l’appropriation de marchés ou de ressources naturelles de secteurs privilégiés par le gouvernement en place. Dominique Jolly et Bernard Belloc distinguent donc les IDE chinois en deux catégories : les IDE géopolitiques et les IDE de prises de participation ou d’acquisition d’entreprises étrangères. Dans le premier cas, ces IDE ont notamment été mis en place dans les pays africains sous la forme d’échanges d’infrastructures contre des ressources pétrolières. Ces investissements visent à résoudre les problèmes de dépendance de la Chine dans le secteur énergétique. Dans le second cas, on observe que les opérations de rachat de parts d’entreprises visent des objectifs variés : augmenter les parts de marché et l’accessibilité des entreprises chinoises, obtenir du savoir-faire indisponible en Chine ou même diversifier les actifs et donc les risques. On observe donc que la Chine a privilégié l’utilisation des IDE sortants pour résoudre des problèmes productifs ainsi que pour augmenter ses débouchées commerciales.

S’il est alors indéniable qu’aujourd’hui, les flux d’IDE sortants chinois font partie des plus élevés au monde, son stock reste néanmoins relativement faible par rapport à son concurrent, les Etats-Unis. En effet, le stock d’IDE sortants de la Chine était 4 fois moins élevés que celui des Etats-Unis. Si le chiffre semble alors relativement faible, la tendance que suivent les investissements chinois à l’étranger peut en soutenir la croissance. Le projet Road and Belt Initiative ou « nouvelle route de la soie » incarne la volonté de la Chine de continuer à investir dans des infrastructures et des sites industriels de grande ampleur. La Chine souhaite reconstituer une route maritime traversant l’océan indien pour rejoindre le Nord de l’Italie grâce au canal de Suez et traverser le continent eurasien par voie terrestre. Ce projet est une des sources principales d’investissement de la Chine à l’étranger [v] et constitue une réponse aux problématiques d’exclusion économique des régions centrales à la Chine tout en favorisant une importance géopolitique grandissante à travers le monde.

 

Source : Les Echos

La politique d’investissements directs à l’étranger de la Chine a donc été mise en place pour répondre à des soucis à la fois internes (disparités régionales) et externes (dépendances énergétiques, manque de savoir-faire par rapport aux autres nations et appréciation du yuan). A travers une flexibilisation progressive des sorties de capitaux et un contrôle des secteurs d’investissement, la Chine a su apporter une réponse conjointe à ces problématiques.

Gauthier Maisonnave