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Les monopoles naturels (Fiche concept)

Les monopoles naturels

Une entreprise est dite en situation de monopole lorsqu’elle se trouve être la seule à offrir un produit ou un service donné. Elle détient alors ce que l’on appelle un pouvoir de marché : elle peut, du fait du manque de concurrence, plus librement fixer ses prix et augmenter ses marges, ce qui lui permet d’acquérir une rente de monopole. Les prix étant plus hauts que ceux pratiqués dans une situation concurrentielle, une partie des consommateurs sont évincés du marché (car le prix pratiqué par l’entreprise est plus élevé que leur disposition à payer) tandis que d’autres réduisent les quantités qu’ils demandent, ce qui entraîne une réduction du bien-être total (que l’on mesure en économie à l’aide du concept de surplus total[i]).

Parmi les monopoles, on distingue notamment les monopoles réglementaires des monopoles naturels. Là où les premiers ont pour origine l’État (qui peut parfois réserver arbitrairement le droit de produire à une seule entreprise), les monopoles naturels résultent du jeu du marché. Parmi les causes aboutissant à la formation d’un monopole naturel, on trouve d’une part la répartition des ressources naturelles. En effet et dans le cas des terres rares par exemple, celui qui possède le terrain où les mines se situent se trouve de facto en situation de monopole. D’autre part, la présence de rendements d’échelle croissants[ii] entraîne également la formation d’un monopole naturel puisqu’une entreprise qui grandit en taille peut évincer la concurrence en pratiquant des prix inférieurs. On observe par exemple des rendements d’échelle croissants lorsque la production présente des coûts fixes élevés. En effet, la production doit alors être suffisamment grande pour que l’entreprise soit rentable. Si une deuxième entreprise souhaitait se lancer sur le marché, les clients se répartiraient entre les deux entreprises et aucune d’entre elles ne ferait suffisamment de ventes pour couvrir son coût de production. Ainsi, et de manière paradoxale, c’est le libre jeu du marché qui conduit ici mécaniquement à l’émergence d’un monopole.

Le cas des monopoles naturels constitue un exemple de défaillance de marché c’est-à-dire une situation où l’équilibre de marché est sous-optimal[iii]. Dans ce cas, l’Etat peut intervenir pour corriger ces défaillances via la nationalisation ou la création d’autorités de régulation. Dans un premier temps, la nationalisation peut permettre d’éliminer la rente de monopole en contrôlant les prix fixés par l’entreprise. Deux politiques sont alors possibles : fixer le prix de sorte à avoir un profit nul ou de sorte à maximiser le surplus total. Dans le second cas, le prix est trop faible pour que l’activité de l’entreprise soit rentable, elle implique donc une perte pour l’entreprise qui doit alors être compensée par des transferts. Dans un second temps, les autorités de régulation peuvent également intervenir via des politiques visant à encadrer les prix que l’entreprise pratique. Cependant le régulateur fait face à un dilemme : il doit pouvoir mettre en place des mécanismes permettant la rentabilité de la production tout en empêchant la formation de marges excessives. Cela requiert toutefois que le régulateur ait des connaissances suffisamment précises sur les caractéristiques de l’entreprise (sa fonction de coût, la technologie utilisée ou encore la demande à laquelle elle fait face). De plus, celle-ci peut être amenée à mentir (par exemple, en surestimant ses coûts) afin de ne pas subir une réglementation trop importante et de réaliser des marges[iv].

Dans les années 1980, émerge un mouvement de redéfinition du concept de monopole naturel ainsi que des secteurs qui en relèvent. C’est par exemple à ce moment-là que des théories comme celle des marchés contestables[v] de Baumol, Panzar et Willig, ou encore celle des trois couches[vi], sont développées, ce qui remet en cause l’existence d’une nécessité d’intervention de la part de l’État. De même, et sous l’impulsion de la Commission européenne, est lancé un vaste processus de privatisation dans des secteurs associés aux monopoles naturels (transports, télécommunications, gaz et électricité, etc.). Cependant, les privations n’ont pas toujours eu les effets escomptés. Dans certains cas, les privatisations ont même eu des effets complètement contraires puisqu’elles se sont accompagnés d’une hausse des prix et d’une baisse de la qualité du service de sorte que l’on assiste parfois à une renationalisation. Ainsi, le débat sur la solution à apporter aux monopoles naturels est loin d’être tranché comme l’illustre récemment le débat portant sur la privatisation.

Raphaël Martin

 

Notes :

[i] Le surplus total est défini comme la somme des surplus des consommateurs et du producteur. Le surplus des consommateurs est défini par la différence du prix qu’ils seraient prêts à payer de celle qu’ils paient effectivement. Le surplus des producteurs est défini par la différence entre le prix auquel il était prêt à vendre le bien. Pour plus de détails voire Microéconomie, Cours et application de Hachon et Laurent.

[ii] Les rendements d’échelle décrivent la manière dont le coût unitaire évolue lorsque la production augmente ; des rendements d’échelle croissants signifient que, lorsqu’elle augmente, celui-ci diminue, permettant à l’entreprise de baisser ses prix.

[iii] On parle ici d’optimalité au sens parétien du terme. Un optimum de Pareto est une allocation des ressources pour laquelle il n’est pas possible d’augmenter la satisfaction d’un individu sans réduire la satisfaction d’un autre individu.

[iv] Ainsi, les problèmes liés à la régulation des monopoles naturels découlent de l’existence d’asymétries d’information entre le régulateur et la firme. Pour répondre à ces problématiques, des économistes ont conçu des mécanismes incitant la firme à révéler l’information privée qu’elle détient. Pour un aperçu des travaux sur le sujet : cf. Gagnepain Philippe. « La nouvelle théorie de la régulation des monopoles naturels », Revue française d’économie, volume 15, n°4, 2001. pp. 55-110.

[v] Selon cette théorie, un monopole opérant sur un marché dans lequel les entreprises sont libres d’entrer pratiquera des prix égaux à ceux pratiqués en situation de concurrence, de telle sorte que les profits du monopole et la perte de surplus total soient nuls.

[vi] Selon cette théorie, les monopoles naturels regroupent trois activités qui peuvent être dissociées : une activité en amont (qui porte généralement sur les infrastructures), une au centre (qui contrôle l’entretien des infrastructures et l’application de directives communes) et une en aval (qui englobe les services finaux destinés à la clientèle). Ainsi, selon cette théorie, on peut démanteler un monopole naturel en plusieurs entreprises et privatiser celle en aval dans la mesure où elle n’a pas les caractéristiques propres aux monopoles naturels.