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La maladie hollandaise (Fiche concept)

C’est dans l’édition du 26 novembre 1977 du célèbre quotidien économique britannique, The Economist, qu’est né le concept de « maladie hollandaise ». Aussi appelée « malédiction des matières premières », celle-ci décrit le mécanisme par lequel la croissance de certains secteurs économiques – en particulier celui des ressources naturelles – influe négativement sur le développement d’autres secteurs, comme celui agricole ou manufacturier.

Les aléas économiques du Pays-Bas nous permettront de rendre plus explicite les mécanismes sous-jacents à cette relation de causalité. En 1959, on découvre dans la province de Groningue ainsi qu’en mer du Nord le plus important gisement de gaz naturel en Europe, 30ième plus important dans le monde. Attirés par la découverte de ce qui était alors dénommé « l’or bleu », nombre d’acteurs économique choisissent d’exploiter cette nouvelle opportunité et transforment le pays en un grand exportateur de gaz.

A court-terme, le pays s’enrichit. Mais, après une dizaine d’année, les Pays-Bas apparaissent bien plutôt comme le grand malade de l’Europe. En cause, un étrange contraste entre sa situation économique et financière interne et externe : ainsi en 1977, la Hollande peut se targuer de jouir d’une des monnaies les plus « forte » du continent et d’être largement excédentaire sur sa balance courante. Cependant, la production industrielle est en berne, le taux de chômage a drastiquement augmenté – passant de de 1.1 % de la population active en 1970 à 5.1 % en 1977, et la part des investissements dans la production nationale a chuté de près de 15 %. 

Nous l’avons dit : la « maladie hollandaise », c’est la malédiction des matières premières. Trois éléments expliquent ainsi cette surprenante évolution. D’abord, l’explosion des exportations des Pays-Bas, qui ne pouvait consommer l’intégralité du gaz qu’elle générait désormais, a mené la devise nationale (le florin) a s’apprécier fortement. En conséquence, la compétitivité-prix des entreprises nationales est mise à mal sur les marchés étrangers. S’il est impossible pour elles de réduire leur marge pour conserver leurs parts de marché, elles exportent donc moins, produisent moins, et embauchent moins.

Le secteur industriel a aussi été mis à mal par d’autres formes d’augmentation des coûts de production. En particulier, les augmentations de salaire des travailleurs du secteur gazier se sont transmises sur le salaire des travailleur des autres secteurs, contribuant à les rendre moins compétitif et à entretenir une inflation par les coûts. En particulier, cet augmentation des coûts de production semble avoir été transmise par la législation sur le salaire minimal, l’augmentation des cotisations à la Sécurité Sociale et les nouvelles normes environnementales et écologiques.

Le dernier facteur explicatif de la maladie hollandaise consiste dans le mauvais usage qui a été fait des revenus issus de l’exploitation des matières premières du Pays, dépensés plutôt qu’investis.Du côté des ménages, les importations de produits substituables à la production nationale, notamment dans le secteur manufacturier, ont fortement augmenté avec le pouvoir d’achat et l’appréciation du florin. Les recettes fiscales, elles, ont été largement mobilisées pour financer l’augmentation de transferts monétaires.

La théorie économique a formalisé le concept à travers le modèle de W. Max Corden et de J. Peter Neary (1982). Celui-ci comprend trois secteurs économiques : deux formés par les biens échangeables, le premier connaissant une forte croissance (secteur 1, ressources naturelles) au contraire du deuxième (2, secteur industriel) ; le dernier (3, ie infrastructures) portant sur les biens non échangeables. Dans ce cadre, le boom du secteur 1 engendre la désindustrialisation à la fois indirecte et directe de l’économie : en effet, l’effet «resource movement» traduit la bascule de la demande de travail du secteur 2 vers le secteur 1, en réponse aux besoins de production. De l’autre côté, les revenus supplémentaires tirés de la découverte de ressources naturelles dans l’économie se reportent principalement vers le secteur 3, alimentant l’inflation et appréciant le taux de change réel de la devise. Ces évolutions rendent moins compétitif le secteur exportateur, réduisant ses parts de marché sur les marchés compétitifs. 

Notons aussi que de tels mécanismes peuvent être compris en se situant dans un des cadres de référence de la théorie du commerce international : le théorème HOS. En effet, le théorème Rybczynski (1955) établit que l’augmentation de la possession d’un facteur de production accroît la production du bien nécessitant une utilisation intensive de ce facteur plus que proportionnellement. Ainsi, dans le cas où l’augmentation porte sur le facteur de production auparavant abondant dans l’économie, la découverte de nouvelles ressources de production augmente la spécialisation du pays dans cette production.

Parmi les nombreuses références que l’histoire économique des Pays-Bas a fourni aux analystes1, le concept de « maladie hollandaise » reste parmi les plus riches d’enseignements et peut s’appliquer à une grande diversité de cas à travers le monde et l’histoire, de la « ruée vers l’or » Australienne au XIX° siècle, aux cas plus récents de nombre de pays en développement comme en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen-Orient ou dans certains pays de l’Europe Centrale et Orientale. Cependant, l’exemple de la Norvège mérite notre attention en ce qu’il semble offrir un contre-exemple de choix à l’idée d’une malédiction des matières premières : les revenus tirés de l’exploitation pétrolière, investis par le biais d’un fonds souverain plutôt que consommés directement, alimente la diversification de l’économie et nuance l’augmentation du taux de change, favorisant ainsi un sain développement économique. Même en économie, pas de fatalité en politique !

Etienne Billon

 

Références : 

« Booming Sector and De-Industrialisation in a Small Open Economy », W. Max Corden and J. Peter Neary, Economic Journal, 1982, vol. 92, issue 368, 825-48

« La maladie hollandaise », Alternatives économiques, 31 juillet 2017 

https://www.alternatives-economiques.fr/maladie-hollandaise/00079484