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Le protectionnisme éducateur (Fiche concept)

La théorie du protectionnisme éducateur tire ses origines des travaux de l’économiste allemand Friedrich List (1789-1846). Cette théorie vise à montrer les bienfaits des barrières protectionnistes, spécifiquement lorsqu’elles permettent de soutenir une entreprise ou un secteur dans les premières phases de son développement. Selon cet économiste, il peut s’avérer nécessaire que l’Etat intervienne en augmentant les droits de douane à l’importation des produits ou secteurs qui font concurrence à une entreprise naissante domestique.

Partant de l’idée que le développement des nations passe par les étapes suivantes : Pastorale, agraire, industrielle puis commerciale et constatant qu’elles s’enchaînent à des rythmes et périodes différents, il est normal que les nations dites en retard connaissent des niveaux de compétitivité prix et hors prix plus faibles et aient des difficultés à s’insérer dans le commerce international. Le libre-échange ne permettant ni une insertion satisfaisante et encore moins un rattrapage des puissances commerciales dominantes, des mesures protectionnistes pourraient constituer une solution. List n’était pas opposé au libre-échange. Il voyait davantage cette politique de protection comme une mesure temporaire répondant à un objectif précis en vue de parvenir à un libre-échange non faussé : « le libre-échange est notre but, le protectionnisme est notre voie ». C’est ainsi que le protectionnisme serait temporairement nécessaire pour permettre à l’entreprise de rattraper ce retard en formant les travailleurs ou en investissant dans des infrastructures. A posteriori, on pourrait constater que List se basait sur des industries disposant de rendements d’échelle croissants dans la mesure où il imaginait que la croissance des entreprises leur permettait de baisser leur prix. Cette croissance des rendements peut s’expliquer notamment par l’existence de coûts fixes ou par une spécialisation des travailleurs au fur et à mesure du développement de l’entreprise.

List adopte une approche nationale pour déterminer les bienfaits d’une telle politique. En ceci, il s’oppose à la pensée libérale de l’époque dans la mesure où il ne part pas de postulats individuels pour donner des recommandations universelles. Selon lui, la pensée libre-échangiste anglaise était partisane dans la mesure où elle s’inscrivait dans un contexte de domination britannique. Ces derniers auraient eu donc tout intérêt à imposer cette vision[1]. On peut associer l’émergence de la pensée de List avec la création du Zollverein, union douanière apparue en 1834 entre la Prusse et certains Etats allemands. D’après List, cette union devait leur permettre de combler leur retard industriel par rapport à la Grande Bretagne.

On peut soulever certaines critiques relatives à la pensée de List. De manière générale, la critique du protectionnisme se base sur les conséquences en termes de bien-être pour le consommateur. En effet, l’augmentation des prix des biens importés contribue à diminuer le surplus et la satisfaction des consommateurs. Le protectionnisme peut également entraîner une baisse du surplus du producteur en présence de mesures de rétorsion. Ces mesures seraient prises par les nations dont les industries sont frappées par ces mesures. Ainsi, la demande étrangère peut s’appauvrir et ainsi limiter les exportations domestiques.

La deuxième critique se base sur la pertinence de cette pensée à l’heure actuelle. En effet, depuis que List a développé ses idées, le commerce international s’est fortement complexifié et les chaînes de valeurs se sont de plus en plus fragmentées[2]. Cela signifie que les différentes tâches comprises entre la production et la consommation du produit sont de plus en plus réparties dans le monde. Par conséquent, lever une taxe sur l’importation d’un produit peut entraver la production des entreprises qui se servent de ce produit comme intrant. Par exemple, si le protectionnisme concerne le secteur du ciment, toutes les entreprises importatrices de ciment vont voir leur coût de production augmenter, ce qui va entacher leur compétitivité prix. De plus, le marché intérieur peut ne pas être assez vaste pour permettre à l’entreprise nationale de trouver des débouchés suffisants et de réaliser des économies d’échelle. Dans ce cas, les barrières protectionnistes seraient vaines et ne contribueraient qu’à dégrader les finances publiques. Enfin, cette théorie nécessite que l’Etat ait connaissance des industries à protéger, ce qui peut être complexe. Gregory Mankiw parlait de « Picking Winner[3] » pour désigner les entreprises qui seraient protégées de la concurrence étrangère. En étant protégées, ces entreprises peuvent ne pas être incitées à innover en capitalisant ainsi sur leur rente de situation.

La théorie du protectionnisme éducateur peut donc s’inscrire dans des cas précis de développement. Si la taille du marché intérieur et la sélection des industries sont des terreaux favorables au potentiel fonctionnement de cette politique, il semble ne pas y avoir vraiment de règles générales pour déterminer la pertinence de cette politique.

Pierre-Emmanuel Caplet

 

Références

[1]https://www.capital.fr/economie-politique/friedrich-list-1789-1846-le-theoricien-du-protectionnisme-temporaire-740579

[2]https://www.iledefrance-meudon.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/chaines-de-valeur-mondiales-le-passe-la-covid-et-lavenir

[3]https://europac.com/europacnews/picking-winner/

Bibliographie 

The national system of political economy, Friedrich List (1841)

Théories de l’économie politique internationale. Cultures scientifiques et hégémonie américaine, Stéphane Paquin (2013)

Économie de la mondialisation, Mickaël Joubert et Lionel Lorrain (2015)

Le Protectionnisme, Jacques Sapir (2022)