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L’équivalence ricardienne, Robert J. Barro (Fiche concept)

L’équivalence ricardienne, R. Barro (1974)

Les dépenses publiques par le creusement du déficit sont-elles efficaces pour stimuler l’activité économique ? Récemment, la France, l’Allemagne et de nombreux pays européens ont décidé de répondre à l’urgence économique en appliquant d’ambitieux plans de relance de plusieurs milliards d’euros.

Cette actualité peut réactiver la discussion autour de l’équivalence ricardienne. En 1974, R. Barro a relancé dans l’article ”Are government bonds net wealth?” le débat ancien initié par D. Ricardo en 1821 sur l’efficacité du recours à l’emprunt plutôt qu’à l’impôt pour financer les dépenses publiques. Le concept d’équivalence ricardienne ou l’effet Ricardo-Barro affirme alors que les dépenses publiques n’auront pas d’effet sur l’activité économique, qu’elles se financent par l’impôt ou par l’emprunt. Si R. Barro ne fait aucune référence à Ricardo, c’est J. Buchanan (1976) qui va établir le lien entre les deux auteurs [i].

On parle aussi d’effet Ricardo-Barro car le concept repose sur l’intuition de D. Ricardo selon laquelle la consommation aurait une double composante. Par la suite, R. Barro a distingué une composante conjoncturelle, reposant sur les revenus présents, et une composante stable, sur les revenus futurs. L’autre apport de R. Barro est d’introduire les anticipations rationnelles, permettant de justifier qu’en cas de relance, les agents anticiperont une hausse d’impôts, pour rembourser les prêts, et donc une baisse des revenus futurs. L’augmentation des déficits s’accompagnerait donc d’une stagnation voir une baisse de la demande, provoquant le renforcement de l’épargne de précaution.

Selon R. Barro, les agents seraient parfaitement informés, rationnels, et prendraient en considération les conditions futures et le bien-être de leurs descendants. Les agents seraient donc altruistes et prendraient en compte, dans leur propre fonction d’utilité, l’utilité de leurs enfants. Dès lors, si les agents considèrent que les déficits et la dette publique actuelle peuvent devenir un fardeau pour leurs petits-enfants, ils augmenteront leur épargne pour assurer des transferts intergénérationnels [ii].

L’épargne augmente, le multiplicateur keynésien [iii] devient nul et la politique de relance budgétaire devient inefficace. Toutefois, l’équivalence repose sur des hypothèses très restrictives :

  • Les agents économiques seraient parfaitement informés et rationnels. Ils seraient donc capables d’anticiper les impôts futurs et prendraient en considération le bien-être de leurs descendants.
  • Les marchés financiers seraient efficients. Les prix reflètent donc toute l’information disponible et permettent ainsi aux marchés de remplir parfaitement la fonction d’allocation et de transferts temporels.
  • Des impôts non distordants, c’est à dire identiques pour tous ou proportionnels.
  • Les déficits seraient à l’origine d’effet d’éviction. Les déficits génèrent une demande accrue de financement de la part de l’État ce qui augmente le taux d’intérêt. La demande financée à crédit va donc diminuer et, in fine, la demande globale diminue aussi.

 Si ces hypothèses sont valides, il est possible de considérer que l’augmentation des déficits publics n’aura pas d’effet positif sur l’activité économique. Néanmoins, ces hypothèses sont remises en cause par de nombreux économistes. Dès 1952, M. Allais (Nobel 1988) intègre la notion de « réalité psychologique » [iv]. Dans les années 1970, le psychologue D. Kahneman (Nobel 2002) affirme que les agents font des erreurs de perception, de jugement, de calculs et ne peuvent donc être rationnels. Également, G. Akerlof [v] montre que les prix ne peuvent pas contenir toute l’information. Les marchés ne pourraient donc pas être parfaits et il existerait des asymétries d’informations, ce qui contredit l’hypothèse de R. Barro. Plus particulièrement, R. Shiller [vi] montre que les marchés financiers ne sont pas efficients. Effectivement, il existerait des excès de volatilité des prix contrairement à ce qui aurait été observé uniquement par des modifications d’anticipations rationnelles.

Même si l’équivalence ricardienne n’est pas vérifiée empiriquement, il ne faut pas négliger l’argument selon lequel une accumulation trop rapide et trop forte des déficits et de la dette peut stimuler des comportements de précaution chez les agents économiques [vii]. Ces derniers pourraient limiter le potentiel des plans de relance, mais ne sauraient constituer une équivalence ricardienne. Tout au plus, ils en seraient une forme limitée. Ainsi, une étude de l’INSEE [viii] montre qu’une explication partielle et possible de la hausse du taux d’épargne des ménages serait la hausse du déficit français, entre 2008 et 2010.

L’effet Ricardo-Barro cherche donc à expliquer comment le creusement des déficits ne peut relancer l’activité économique. Si les consensus sont difficiles en économie, cette théorie est trop restrictive, reposant sur des hypothèses invalidées. D’autant plus que les plans de relance annoncés face à l’urgence économique semblent faire consensus et rassurer les marchés financiers. Effectivement, les politiques de relance ne sont pas tant infondées dans la mesure où les externalités positives et les rendements croissants des interventions étatiques peuvent avoir des effets positifs sur l’économie.

Simon Cardoen

Infographie par Anastasia Melachrinos

 

[i] Dette et fiscalité selon Barro, Thomas Brand, Regards croisés sur l’économie, 2007

[ii] L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance avec accumulation de capital, Emmanuel Thibault, Revue d’économie politique, 2003

[iii] Relation entre la variation des dépenses publiques et la variation du revenu qu’elle génère

[iv] Richard Thaler ou comment la finance est devenue comportementale, Marie-Hélène Broihanne, Gunther Capelle-Blancard, Revue d’économie politique, 2018

[v] The Market for « Lemons »: Quality Uncertainty and the Market Mechanism, George A. Akerlof, The Quarterly Journal of Economics, 1970

[vi] L’efficience des marchés financiers: la théorie, Captain Economics, 2012

[vii] L’équivalence ricardienne entre dette publique d’aujourd’hui et impôts de demain, François Ecalle, FIPECO, 2016

[vii] L’économie française, comptes et dossiers, INSEE, 2014