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Le paradoxe de la tranquillité, Hyman Minsky (Fiche concept)

Le paradoxe de la tranquillité, H. Minsky (1986)

Hyman Minsky (1919-1996) est un économiste américain affilié au courant postkeynésien. Il a été à l’origine d’analyses majeures sur le lien entre cycle économique et instabilité financière.  Son « hypothèse d’instabilité financière » dans Stabilizing an Unstable Economy (1986) a été reprise après la crise de 2007 pour en expliquer les causes. Il développe l’idée selon laquelle la croissance porte les germes de la crise : c’est le « paradoxe de la tranquillité ».

Les observations empiriques de l’évolution du taux de croissance du PIB montrent que la croissance suit une dynamique cyclique. Le cycle se traduit ainsi par trois périodes distinctes. D’abord l’économie entre en phase d’expansion, la croissance est forte et portée par une consommation et un investissement en hausse. Les agents (ménages, entreprises) sont optimistes et dépensent, ce qui stimule la croissance économique. À un moment donné, les anticipations se retournent et l’économie entre en récession. Ce point de retournement est appelé crise.

Selon Minsky, la crise trouve ses sources dans les évolutions de la sphère financière durant la phase d’expansion. La recherche de profits génère, à la fois du côté des agents à besoin de financement et de ceux à capacité de financement, des comportements à risque qui ouvrent la voie à une crise financière. L’auteur identifie trois étapes clés dans l’évolution des prises de risque dans la sphère financière lors du cycle : d’abord la finance prudente, puis l’essor de la finance spéculative et enfin le développement de la « finance Ponzi ».

Au début de la phase d’expansion, l’optimisme est limité et l’octroi de crédit est restreint aux agents dont les gains attendus par les projets d’investissements sont supérieurs à la somme due, les emprunteurs sont solvables. C’est cette finance dite « prudente » qui prédomine.

À mesure que l’expansion dure, l’optimisme se diffuse à l’ensemble des agents. La demande anticipée par les entreprises augmente. Les projets d’investissements, autrefois peu rentables ou risqués, paraissent désormais sources de profit et davantage prudents. Dans le même temps les banques sont plus enclines à distribuer des crédits, d’autant plus qu’elles ont déjà prêté précédemment à des agents fortement solvables. Leur prise de risque peut donc augmenter sans paraitre excessive, a priori.

Dans l’optimisme ambiant, la demande de monnaie pour motif de précaution diminue. La préférence des agents pour la liquidité se déplace vers des actifs moins liquides. Les prix des actifs augmentent alors sur les marchés financiers. Les pratiques d’achat et vente d’actifs pour réaliser une plus-value financière se développent, c’est la finance spéculative.

Le développement des comportements de spéculation est alors vecteur d’augmentation des prix des actifs. Cette dynamique génère un mécanisme cumulatif entre effet de richesse (le propriétaire de l’actif va dépenser davantage quand la valeur de son patrimoine augmente) et demande d’actifs financiers. Plus encore, la perspective de plus-value augmentant à mesure que le cours grimpe, les agents vont emprunter pour acheter des actifs, ce qui accentue la hausse des cours. Une bulle financière se crée.

À ce stade, la crise pourrait être évitée si le gouvernement restreignait la masse monétaire pour limiter la hausse des cours et éviter l’éclatement de la bulle. Or, Minsky explique que les pouvoirs publics perdent cette capacité suite au développement d’innovations financières. Il cite les CDO (obligations adossées à des actifs) dont l’émission pousse à la fois l’offre ainsi que la demande de titres à la hausse. Davantage de crédits sont distribués et la dynamique de bulle est accentuée.

On rentre alors dans une nouvelle phase, celle de la « finance Ponzi » (du nom de Charles Ponzi, auteur de montages frauduleux dans les années 1920). Les « emprunteurs Ponzi » fondent leur capacité de remboursement sur la vente future des actifs achetés par leurs emprunts. La solvabilité des banques qui ont pris le risque d’accorder ces crédits est alors conditionnée à la hausse des cours. La titrisation peut alors diffuser largement ces créances très risquées dans le secteur bancaire.

La bulle financière finit par éclater lorsque les agents se rendent compte que la valeur boursière des titres est déconnectée de la valeur « réelle » de l’action. Ils vendent alors massivement leurs actifs et les cours s’effondrent. Les « emprunteurs Ponzi » et spéculateurs liquident leurs actifs (même à perte) ce qui accroit l’ampleur de la baisse. Les bilans bancaires se dégradent et l’offre de crédit s’effondre. C’est le « moment Minsky », la crise.

Minsky impute donc les crises à un manque de régulation financière durant la phase d’expansion. Si la crise de 2007 a permis la mise en place d’une régulation plus importante du secteur financier, les crises restent possibles et le concept de paradoxe de la tranquillité est toujours d’actualité.

Grégoire Sempé

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