- « Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », tels étaient les propos d’Emmanuel Macron lors des élections présidentielles. Selon le Ministère de l’Action et des Comptes Publics, l’objectif de cette réforme serait « de sauver les régimes de retraite ».
- Un régime de retraite définit les ayants droit (une catégorie de la population), les règles de calcul des pensions et les modalités de financement de ces pensions de retraite.
- En 2010 une retraite sur 10 n’était pas financée. D’ici 2030 ce sera une sur 6 selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR).
- Les dépenses de retraite représentaient 330 milliards d’euros en 2015.
- Le système de retraite français est composé d’une vingtaine de régimes de retraite. En effet, il est possible de différencier les régimes de base, les régimes complémentaires ainsi que les régimes spécifiques aux entreprises et/ou secteurs de l’économie (SNCF, Comédie française, etc.).
- Dans la plupart des cas, les divers régimes français de retraite sont des régimes dits « par répartition ». Ce système repose sur une forte solidarité entre les générations. En effet, les cotisations des actifs d’aujourd’hui servent à financer les pensions des actifs d’hier, aujourd’hui à la retraite.
- À l’inverse, le régime de retraite universel envisagé par le gouvernement d’E. Phillipe serait valable pour tous, peu importe la profession et/ou le secteur, et définirait une même et unique règle de calcul des pensions.
I.Actuellement, les régimes de retraites font face à de nombreuses difficultés
A. Problème d’équilibre
Nous rappelons ici que, pour être à l’équilibre, un régime de retraite par répartition doit respecter l’égalité entre le montant des cotisations et celui des pensions. Or, le système actuel connaît de nombreux problèmes d’équilibre financier qui peuvent s’appréhender sous deux angles :
Le taux de dépendance correspond au ratio entre la population âgée de plus de 65 ans et la population d’actifs cotisants pour les plus âgés. Or, depuis la fin des années 1990, ce ratio de dépendance augmente fortement et ce pour plusieurs raisons. D’une part, sur cette période, la France voit la génération des « baby-boomers » arriver à l’âge de la retraite et profiter, de plus, d’une plus grande espérance de vie. D’autre part, la croissance de la population active au sein de l’économie est plus lente et ce, en raison de la baisse du nombre moyen d’enfants par femme. L’arrivée des jeunes sur le marché du travail se fait aussi plus tardivement. En effet, les jeunes profitent d’une hausse du niveau d’éducation donc d’une plus longue scolarité. Enfin, il convient de prendre en compte que le taux de chômage peut accroître ce ratio de dépendance dans la mesure où le chômage réduit nécessairement le nombre de cotisants potentiels. Ainsi, le taux de dépendance était de 0,45 en 2001 est devrait s’approcher de 0,6 en 2018. Ceci signifie que le nombre de retraités augmente plus vite que le nombre de cotisants. L’équilibre des caisses du régime par répartition est donc menacé.
Le taux de remplacement désigne la part du salaire moyen des actifs, perçue par un retraité sous forme de pension. En d’autres termes, il s’agit du rapport entre la pension perçue par un retraité et le revenu d’activité des cotisants. Aujourd’hui le taux de remplacement s’élève à 52%. Ceci signifie qu’une pension de retraite moyenne est égale à un peu plus de la moitié du salaire moyen d’activité. Cela ne veut pas dire que le niveau de vie des retraités correspond à la moitié de celui des actifs. Beaucoup de retraités ont des revenus d’épargne ou ne paient plus de loyers, de crédits. Ainsi, le COR estime que le niveau de vie moyen des retraités est légèrement supérieur à celui de la population active. Si le taux de remplacement a connu une forte croissance jusqu’en 2014, il semblerait que ce dernier soit maintenant en baisse. Cette diminution ne serait pas la conséquence d’une baisse des pensions mais celle d’une croissance plus forte des salaires des actifs relativement aux retraites.
B. La multitude des régimes de retraites réduit la mobilité professionnelle
Il semble que les récentes volontés de réforme du système de retraite se fondent sur l’idée qu’un éventail trop large de régimes limite la mobilité professionnelle. En effet, le système de retraite français est composé d’une vingtaine de régimes de retraite. Or, le marché du travail exige de plus en plus de flexibilité et donc, des changements de statut professionnel. Par exemple, une enquête menée par Fipeco montre qu’un actif sur cinq est confronté à des changements de statut professionnel.
Dans cette perspective, le grand nombre de régimes et leurs multiples caractéristiques (montants des cotisations, calculs des pensions) engendrent différents problèmes. Pour les personnes ayant connu de nombreux changements de statut professionnel, la durée de cotisation, dans chacun des régimes n’est pas suffisante et, ce faisant, elles se retrouvent avec des retraites trop faibles ou ne reflétant pas leurs anciennes rémunérations. Dès lors, il semblerait que la multiplicité des régimes de retraite soit un obstacle au changement de statut professionnel d’un actif.
C. Repousser l’âge de départ à la retraite n’est plus la solution
De nombreuses politiques ont essayé de résoudre le problème d’équilibre du régime en reculant l’âge légal de départ à la retraite. Si les caisses ne sont pas à l’équilibre, il est possible d’essayer de faire fluctuer le taux de remplacement et le taux de dépendance. Néanmoins, il très compliqué (d’un point de vue politique) de réduire le taux de remplacement. Ceci impliquerait de baisser les pensions des retraités. Ainsi, le choix le plus simple consiste à reculer l’âge légal de départ à la retraite. Ceci permettrait de réduire le taux de dépendance. D’un côté, pour les économistes keynésiens, une telle mesure accroît l’offre de travailleurs sur le marché du travail. Toutefois « à court terme » la demande de travail serait rigide. Une telle réforme risque alors d’engendrer un chômage involontaire. De l’autre côté, les économistes néo-classiques considèrent qu’une hausse de la population sur le marché du travail (par un recul de l’âge légal de départ à la retraite) permettrait d’accroitre la croissance potentielle. Or, il est possible de considérer que cet effet n’est vrai qu’à long terme. Le recul de l’âge légal de départ à la retraite mènerait donc à un ajustement difficile entre offre et demande sur un marché du travail déjà marqué par de nombreuses difficultés.
Également, avec ces réformes, il semble important de prendre en considération des enjeux majeurs comme la santé, les conditions de travail et les loisirs. Un recul de l’âge légal du départ à la retraite pourrait s’accompagner d’une dégradation de l’espérance de vie en bonne santé. Des sociologues et économiste comme Jacques Wels (University of Cambridge) affirment alors qu’augmenter l’âge de la retraite ne résoudra rien. Par exemple, selon les données de l’OCDE, l’âge effectif moyen de sortie du marché du travail est de 59 ans alors même que l’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans. Augmenter l’âge des départs ne semblerait donc pas être la réponse idéale aux problèmes de financement des retraites.
II. Le régime de retraite universelle : la solution ?
A. Quels sont les projets du gouvernement ?
L’un des objectifs du Président est de mettre fin à la multiplicité des régimes de retraite qui existent. Toutefois, le gouvernement tient à conserver un modèle de régime par répartition mais unique et universel. Le régime envisagé se fonde sur un calcul des pensions selon un système de points. Ces points posséderaient « des valeurs d’achats ». La valeur d’achat du point correspond au taux de conversion du salaire vers le point. En outre, le cumul des points permettrait de déterminer le niveau des retraites selon une « valeur de service ». Cette valeur correspond, quant à elle, au taux de conversion des points vers les pensions. Ce régime de retraite universel serait valable pour tous, peu importe la profession et/ou le secteur et définirait donc une même et unique règle de calcul des pensions.
Selon le gouvernement, ce régime permettrait de résoudre les problèmes d’équilibre des caisses de retraite tout en permettant une meilleure mobilité professionnelle. En effet, dans la mesure où les retraites dépendent des valeurs d’achat et de service du point, l’équilibre entre cotisations et pensions ne dépendrait plus du ratio de dépendance. De ce fait, la valeur d’achat ainsi que la valeur de service auraient un rôle important et permettraient de s’affranchir du ratio de dépendance. Enfin, comme nous l’avons évoqué, la multiplicité des régimes de retraite était un frein à la mobilité professionnelle. Dans le cadre d’un régime universel, la retraite ne dépend plus du statut professionnel donc du régime spécifique de l’actif. Effectivement, les retraites sont déterminées par les points accumulés et ce, peu importe le statut professionnel. Un actif n’aura donc plus de calcul à faire entre les avantages et les coûts d’un changement de statut.
B. Ses avantages et ses défauts
Comme évoqué ci-dessus, le système de retraite à points assure aux actifs de pouvoir cotiser sans que leurs changements professionnels ne leur amènent de difficultés pour leur retraite. Également, un régime universel par points permet de réconcilier les régimes par répartition avec la solidarité intergénérationnelle. Selon de nombreux politiques, et économistes, un tel système amènerait aussi des progrès en termes d’équité, tout en facilitant la gestion des retraites. Par exemple, la Cour des comptes a mis en évidence que la création d’une caisse unique de retraite des fonctionnaires pourrait entraîner une baisse du coût de fonctionnement de 23% (environ 200 M€). Enfin, l’AGIRC et l’ARRCO sont des fédérations regroupant 17 institutions de retraites complémentaires. Ainsi, un second rapport de la Cour des comptes montre que cette segmentation est à l’origine d’un manque d’efficacité et d’un coût de gestion supérieur de 20% à celui d’un régime unique.
Néanmoins, un régime par points est par nature contributif. Ainsi, la cotisation est proportionnelle au salaire et la retraite est proportionnelle au nombre de points accumulés. On peut donc imaginer qu’un tel système soit défavorable aux emplois les plus précaires et aux actifs connaissant des périodes de chômage ou de formation professionnelle. Par exemple, les actifs à temps partiel accumuleraient un nombre de points bien inférieur à celui des actifs à temps plein. Pour être juste et efficace, la réforme doit donc s’accompagner de mesures afin de protéger les travailleurs les plus précaires.
Enfin, en France, il existe un débat très fort autour des gagnants et des perdants du régime universel. Aujourd’hui le mode de calcul des pensions est très différent selon les régimes privés et le régime des fonctionnaires. Pour les salariés du secteur privé, le régime de base permet une retraite équivalente à 50% de la moyenne des salaires des 25 meilleures années (sans ajouter les retraites complémentaires privées). Ainsi, la retraite des salariés du secteur privé correspond en moyenne à 75% des salaires des 25 meilleures dernières années. Toutefois, pour les fonctionnaires, le régime est unique et la pension versée équivaut à 75% du salaire des six derniers mois (généralement le plus élevé). À noter que ce calcul pour les fonctionnaires se fait hors prime (25 à 30% du salaire). Finalement, les fonctionnaires seraient-ils les perdants de cette réforme ? Difficile de dire oui ou non. En effet, ce système leur permettra aussi de bénéficier d’une plus grande mobilité professionnelle.
C. L’exemple suédois : une solution alternative
Le système suédois fonctionne de manière tripartite et est applicable à tous. En effet, dans ce système coexistent une logique de répartition, de capitalisation, ainsi qu’un mécanisme d’exonération. En Suède, 16% du salaire est attribué au système par répartition. Une autre partie de ce même salaire (2,5%) est, pour sa part, soumise à un mécanisme de capitalisation. En effet, les actifs accumulent un stock de capital par le biais d’un prélèvement sur le salaire. Ce capital sert alors à financer une part de la retraite future. Il s’agit donc d’un système de « mise en réserve » ou de « provision » géré par la sécurité sociale. Enfin, le système suédois prévoit une exonération de prélèvement. En effet, les cotisations ne sont attribuées qu’aux salaires compris entre le revenu minimum imposable (874€) et le revenu maximum imposable (29 793€). Enfin, la retraite est calculée sur l’ensemble de la vie professionnelle. Tout est pris en compte : salaires, mais aussi congés maladie et indemnités de chômage. Un colloque du Conseil d’Orientation des Retraites permet alors de mieux cerner les mécanismes et enjeux du système de retraite suédois. Son principal intérêt est d’avoir mis en place un système plus transparent, lié aux revenus et à la carrière professionnelle des actifs.
Toutefois, le système suédois est aussi critiqué pour diverses raisons. En effet, selon P. Frémeaux et W. Kalinowski, s’il prend en compte les salaires mais aussi les congés maladie et les indemnités chômage, il ne corrige pas le manque d’équité. En cas d’absence sur le marché du travail, les cotisations calculées sur les revenus offrent bien une pension de retraite mais tirent ces dernières vers le bas. De surcroît, faire dépendre le niveau de la pension sur toute une carrière est peu favorable à tous ceux qui ont occupé des métiers pénibles. Or, le système suédois ne prévoit aucune compensation pour les actifs exerçant un métier pénible ou à risque.