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Évolution des dépôts de brevets (Graphique)

La propriété intellectuelle – Évolution des dépôts de brevets

Joseph Schumpeter popularise en 1942 l’expression de « Destruction Créatrice »[1] pour expliquer les cycles économiques. Selon lui, une innovation majeure engendre une phase de croissance; très rapidement suivie d’une phase de dépression dûe à la faillite d’une multitude d’entreprises dont les techniques ou les produits sont devenus obsolètes suite à l’innovation arrivée sur le marché. Cette phase de difficultés économiques suscite cependant l’imagination créatrice de nouveaux entrepreneurs faisant apparaître de nouvelles innovations et à nouveau une nouvelle phase de croissance. La destruction créatrice est donc un processus continuel qui voit se produire de façon simultanée la disparition de certains pans de marché ou de la totalité d’un marché conjointement à la création de nouvelles activités économiques.

Plus récemment Aghion, Antonin, Bunel (2020)[2] remettent au goût du jour cette notion et expliquent en quoi et comment une innovation bien pensée peut-être le moteur d’une croissance verte et sociale.

Mais comment mesurer l’innovation ?

Le brevet  est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire une exclusivité d’exploitation de l’invention brevetée à compter de la date de dépôt de celui-ci et pour une durée standard maximale de 20 ans. Le brevet est donc une protection directe de l’innovation.

Cette protection des droits de propriété[3] est absolument indispensable car elle protège l’innovateur et ses rentes monétaires contre la menace d’imitation. Par conséquent, le nombre de brevets déposés constitue une métrique très fréquemment utilisée pour qui cherche à mesurer et comparer les capacités d’innovations des différents pays. Dans cet article, nous utilisons la base de données de l’OCDE « Patents by Technology ». La localisation d’une innovation est identifiée par le pays de résidence de son inventeur. Les brevets sélectionnés ici sont la famille des brevets triadiques : c’est un ensemble de brevets à la fois déposés auprès de l’Office européen des brevets (OEB), de l’Office japonais des brevets (JPO) et délivrés par le Patent and Trademark Office des États-Unis (USPTO) ; c’est à dire par les trois principaux offices des brevets dans le monde. Les brevets triadiques sont donc un gage de qualité.

On peut observer dans le graphique le nombre de brevets triadiques des pays les plus novateurs dans le monde, toutes catégories technologiques confondues.

Les grands pays leaders de l’innovation en terme de brevets triadiques sont le Japon et les Etats-Unis avec plus de 10 000 brevets triadiques déposés chaque années depuis 1995. La France a un dépôt de brevets triadiques stable depuis 1995 (environ 2 500), cependant elle se situe bien en retrait de l’Allemagne (environ 5 800 par année).

Il est intéressant de constater que globalement depuis 2005 les dépôts de brevets de chaque pays subissent une tendance à la baisse. Cet infléchissement est certainement dû au fait que nous sommes proches d’une certaine frontière technologique, c’est-à-dire le niveau le plus avancé de la recherche technologique[4]. La frontière technologique peut se définir comme l’ensemble des technologies (combinaison des facteurs de production) existantes les plus efficaces.

Si le classement des pays leaders déposants de brevets triadiques ne surprend pas, il est à nuancer puisqu’il ne comptabilise que les brevets déposés au JPO, à l’OEB, et délivrés par l’USPTO. Ce classement tend donc à sous-estimer les brevets déposés par les pays asiatiques puisque les offices de ce continent ne sont pas pris en compte. Nous savons, en effet, que l’Asie s’impose désormais comme l’un des grands leaders de l’innovation. Le moteur de cette croissance asiatique est bien évidemment la Chine. En 2017, 13,7 millions de brevets étaient en vigueur dans le monde dont 2,98 millions aux Etats-Unis ; 2,09 millions en Chine et 2,01 millions au Japon.[5]

Le deuxième graphique nous permet de constater que l’Asie est la région du monde qui comptabilise le plus de dépôt de demandes de brevet.

Les données de l’OMPI[6] nous enseignent donc qu’en 2017 les offices situés en Asie ont reçus 65,1% de l’ensemble des demandes déposées dans le monde ! Si l’Asie est un continent très peuplé, sa population ne représente cependant « seulement » que 59,5% de la population mondiale. L’Asie s’inscrit donc définitivement comme une des régions concentrant le plus d’écosystèmes d’innovations au monde.

 

En conclusion, si nous prenons le parti que l’innovation est une destruction créatrice et donc une forte source de croissance, alors la position française peut être délicate. Pour devenir un pays leader de l’innovation, la France cherche à renforcer ses financements en R&D[7] et améliorer son écosystème d’innovation.

 

Ariane Alla

 

[1] Schumpeter, J. (1942). « Capitalism, Socialism and Democracy ».

[2] Aghion, P., Antonin, C., Brunel, S. (2020) « Le Pouvoir de la destruction créatrice », 2020.

[3] Le droit de propriété est le droit d’user (usus), de jouir (fructus) et de disposer (abusus) d’une chose, d’en être le maître absolu dans les conditions fixées par la loi

[4] Sur le sujet, Aghion, P., Askenazy, P., Bourlès, R. Cette, G., Dromel, N. (2009). « Disantance à la frontière technologique, rigidités de marché, éducation et croissance ».

[5] Selon l’OMPI : Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

[6] https://www.wipo.int/pressroom/fr/articles/2018/article_0012.html

[7] « Les dépenses en R&D », Cardoen, Mhammedi, 2021.