Performativité : qu’est-ce que c’est, comment ça marche, preuves

Qu’est-ce que la performativité en économie ?

La thèse de la performativité suggère que les modèles économiques ou financiers, plutôt que de mesurer objectivement un aspect de la réalité, contribuent plutôt à façonner cet aspect de la réalité sous la forme décrite par le modèle. Autrement dit, la performativité décrit la notion selon laquelle la théorie économique ne se contente pas de décrire le monde tel qu’il apparaît, mais a la capacité d’agir sur le monde et, ce faisant, de faire l’économie – et les agents qui la composent – ​​ressemblent davantage à la théorie elle-même.

Points clés à retenir

  • La performativité fait référence au potentiel de la théorie économique ou des modèles financiers à changer le monde et les individus qui le composent afin qu’ils reflètent mieux la théorie elle-même.
  • Cela suggère que, plutôt que de décrire passivement certains aspects de l’économie, les modèles financiers ont le pouvoir de la modifier.
  • La contre-performativité, en revanche, est le concept selon lequel l’utilisation omniprésente d’un modèle économique fait que le monde ressemble moins à la théorie.

Comprendre la performativité

La performativité décrit au sens large le processus social par lequel un énoncé, une inscription ou un modèle possède la capacité d’influencer le monde qu’il entend décrire. Le philosophe linguistique JL Austin a inventé ce terme dans le contexte d’un « énoncé performatif » pour distinguer les expressions qui font quelque chose de celles qui rendent compte d’un état de choses déjà existant.

Lorsqu’un modèle économique décrivant, par exemple, l’efficacité du marché ou la manière de fixer le prix d’un actif fait son chemin dans le monde, il a la force de modifier ces structures afin que le marché commence à s’adapter au modèle au lieu du modèle qui décrit passivement le marché. Dans ce contexte, la performativité détient un pouvoir énorme car elle sert non seulement de prédicteur mais aussi d’influenceur sur un résultat.

Cette idée contraste avec les modèles élaborés par les chercheurs en sciences naturelles. L’utilisation des formules de la physique newtonienne n’influence pas de manière significative le comportement de la gravité sur les corps massifs, et l’utilisation généralisée des lois de la thermodynamique ne modifie aucune mesure pratique de l’entropie.

Preuve de performativité

Un exemple bien documenté d’un modèle économique devenu performatif est le modèle Black-Scholes-Merton (BSM) pour la tarification des contrats d’options, qui a rationalisé les marchés de produits dérivés à Chicago lorsqu’il a été présenté aux traders dans les années 1970 et 1980.

Equipés de cette équation particulière, calculée par des serveurs informatiques et inscrite comme prix « théoriques » sur des feuilles de papier ou des écrans de terminaux, les traders d’options sont passés de ce qui équivalait à des conjectures éclairées lors de la tarification et de la négociation d’options à des arbitragistes calculateurs, achetant des contrats d’options lorsque leur prix était trop bas et ils les vendaient là où leur prix était trop cher.

Le marché des options lui-même en est venu à respecter de manière persistante les prix « révélés » par le modèle. Comme le soutient MacKenzie, « l’économie financière… a fait plus qu’analyser les marchés ; elle les a modifiés ». Cette influence suggère que les modèles financiers et économiques ont effectivement le potentiel de façonner les marchés au niveau structurel.

D’autres exemples de performativité ont été identifiés dans la construction de marchés d’enchères (par exemple, par la FCC pour vendre aux enchères les droits de bande passante des chaînes de télévision aux réseaux de téléphonie mobile) pour apparaître comme des enchères walrasiennes rationnelles et efficaces.

Contre-performativité

Bien que la performativité soutient que l’utilisation omniprésente d’un modèle économique peut influencer le monde à ressembler davantage à la théorie elle-même au fil du temps, le concept opposé de contre-performativité soutient que l’utilisation d’un modèle fait plutôt apparaître le monde moins comme la théorie le prédirait.

Même si cela peut paraître contre-intuitif, plusieurs exemples existent. L’une d’entre elles est l’utilisation généralisée de la théorie moderne du portefeuille (MPT) parmi les stratégies d’investissement indiciel passif. MPT utilise une technique d’optimisation moyenne-variance pour obtenir le portefeuille le plus « efficace » pour un investisseur, maximisant son rendement attendu compte tenu de son niveau de tolérance au risque. Le résultat est un portefeuille avec un ensemble optimal de pondérations de répartition des classes d’actifs.

Ce modèle suppose cependant que les marchés sont efficaces et, par conséquent, ne prend pas en compte les prix des actifs ; au lieu de cela, il vous indique simplement quel pourcentage de votre portefeuille doit être investi dans quelles classes d’actifs (par exemple, 40 % d’actions nationales, 25 % d’actions étrangères, 25 % d’obligations d’entreprises et 10 % de bons du Trésor). Un investisseur indiciel suivant MPT achèterait simplement un fonds commun de placement indiciel ou un fonds négocié en bourse (ETF) représentant ces classes d’actifs au prix du marché. Si toutefois, dans le cas limite, tout le monde Si le marché suit les recommandations du MPT, personne n’est laissé pour évaluer les composants de ces indices et les marchés deviennent inefficaces en raison d’un manque de découverte des prix.

Un deuxième exemple de contre-performativité est l’utilisation de l’économie comportementale pour « inciter » les gens à adopter un comportement d’influence plus rationnel afin d’obtenir des résultats optimaux. Selon la théorie de l’économie comportementale, les êtres humains ne sont pas des acteurs rationnels mais commettent des erreurs de jugement systématiques basées sur des erreurs et des préjugés cognitifs et émotionnels. Ces défauts psychologiques comprennent l’aversion aux pertes, les préférences incohérentes dans le temps, l’ancrage et l’effet de dotation, parmi plusieurs autres phénomènes.

La reconnaissance de ces faux pas et le recours à des mesures correctives fondées sur les résultats de l’économie comportementale incitent cependant les individus à faire de meilleurs choix et à obtenir des résultats plus rationnels. Ainsi, le recours omniprésent à l’économie comportementale pour encourager ou discipliner les gens semble-t-il moins comme l’économie comportementale prédit (et s’apparente davantage aux modèles économiques traditionnels qui supposent que des acteurs rationnels prédisent).

Performativité vs modélisation économique traditionnelle

Il existe plusieurs manières clés par lesquelles la performativité en économie
diffère de la modélisation économique traditionnelle.

  • Descriptif vs constructif: Les modèles économiques traditionnels remplissent avant tout un rôle descriptif ou explicatif. Ils sont utilisés pour comprendre et expliquer le comportement économique sur la base de certaines hypothèses et données. La performativité va encore plus loin en suggérant que les modèles peuvent activement construire des réalités économiques en influençant les décisions et les actions des agents économiques.
  • Réactif vs Constitutif: Les modèles traditionnels sont souvent considérés comme une réaction aux comportements économiques observés. Ils tentent d’expliquer et de prédire des actions sur la base de données historiques. La performativité suggère que les modèles peuvent également être constitutifs, c’est-à-dire qu’ils participent activement à la création des comportements qu’ils décrivent.
  • Simple ou complexe: La performativité reconnaît l’interaction complexe entre les modèles économiques, les institutions et les pratiques sociales. Il reconnaît que les modèles sont ancrés dans des contextes sociaux, politiques et culturels et que leurs effets s’étendent au-delà de la prise de décision économique.
  • Monde hypothétique et monde réel : La théorie de la performativité économique souligne que l’adoption de modèles particuliers peut avoir des conséquences tangibles dans le monde réel. Cela implique de façonner la dynamique du marché, les bulles financières, les décisions réglementaires et la répartition des revenus.
  • Reconnaissance de l’hétérogénéité: La théorie de la performativité est ouverte à l’idée selon laquelle les agents économiques ne se comportent pas toujours selon les hypothèses rationnelles et de maximisation de l’utilité de l’économie traditionnelle. Il permet d’incorporer des connaissances en économie comportementale et reconnaît que les agents peuvent être influencés par une série de facteurs, notamment les normes et attentes sociales.

Les énoncés performatifs sont ces mots qui changent ou altèrent l’état du monde. Par exemple, « Je vous prononce maintenant homme et femme », prononcé par un ministre ordonné, transforme « mariés » en « mari » et « épouse », non seulement symboliquement mais aussi dans la réalité sociale. Cette réalité sociale se manifeste dans la reconnaissance culturelle et religieuse, le traitement par la loi et les modifications apportées à la fiscalité et aux finances des ménages, pour n’en citer que quelques-uns.

Limites et inconvénients de la performativité

Le concept de performativité dans la modélisation économique a suscité certaines critiques. Certaines des préoccupations les plus importantes sont énumérées ci-dessous, bien que cette liste ne prétende pas être exhaustive.

Validité empirique

Même si l’idée de performativité est séduisante, démontrer un lien direct et causal entre l’adoption de modèles économiques et le comportement économique réel peut s’avérer difficile. Établir la validité empirique nécessite des recherches empiriques rigoureuses, et il est souvent difficile d’isoler l’influence des modèles des autres facteurs qui déterminent le comportement économique.

Problème d’endogénéité

Le problème de l’endogénéité se pose parce que les modèles économiques peuvent simultanément décrire et façonner les comportements. Il est donc difficile de déterminer si les modèles influencent directement les actions ou s’ils reflètent simplement des comportements préexistants. Le problème de l’endogénéité peut compliquer les efforts visant à établir une relation causale claire.

Une implication excessive

Les critiques soutiennent que la performativité peut parfois conduire à une simplification excessive du comportement économique. Les modèles économiques supposent souvent une rationalité et des marchés efficaces qui ne reflètent pas nécessairement toute la complexité du comportement humain. La prise de décision dans le monde réel est influencée par de nombreux facteurs psychologiques, sociaux et contextuels que les modèles économiques peuvent négliger.

Homogénéité déformée

De nombreux modèles économiques supposent que les agents économiques sont homogènes et agissent de manière similaire. La performativité peut ne pas rendre compte de manière adéquate des variations de comportement entre différents groupes et individus. Ne pas prendre en compte ces variations peut limiter la précision et l’utilité des modèles économiques.

Manque de transparence

L’influence des modèles économiques est souvent subtile et indirecte. Ce manque de transparence peut rendre difficile l’identification du moment et de la manière dont les modèles façonnent le comportement. Les mécanismes par lesquels la performativité se produit peuvent être flous, ce qui rend difficile l’identification et la mesure de ses effets et donc l’apport d’ajustements supplémentaires au modèle pour avoir un impact plus important sur les résultats.

Portée limitée

La performativité est particulièrement pertinente sur les marchés financiers et dans certains contextes, mais elle n’explique peut-être pas tous les comportements économiques. Elle peut être moins applicable dans des domaines tels que les marchés du travail, la fourniture de biens publics ou la politique macroéconomique. Les critiques soutiennent que la performativité pourrait avoir un champ d’application limité.

Considérations éthiques

L’utilisation de modèles économiques pour façonner le comportement économique soulève des préoccupations éthiques et morales. Si les modèles profitent de manière disproportionnée à certains groupes de revenus, nuisent aux populations vulnérables ou perpétuent les inégalités sociales, cela peut conduire à des dilemmes éthiques si ce modèle est capable d’influencer les impacts dans le monde réel.

La performativité a-t-elle un impact sur les bulles financières et la dynamique du marché ?

Oui, la performativité peut contribuer à la formation de bulles financières et influencer la dynamique des marchés. Lorsque les modèles promeuvent l’idée d’une hausse constante des prix des actifs, cela peut conduire à des transactions spéculatives, à des actifs surévalués et à d’éventuelles corrections du marché.

Quelles sont les implications de la performativité pour la politique économique ?

La performativité a des implications politiques importantes. Les politiques économiques fondées sur des modèles qui façonnent activement les comportements peuvent avoir un impact sur les résultats économiques, notamment la répartition des revenus, l’accumulation de richesses et la stabilité des marchés.

Quelles sont les implications éthiques de la performativité en économie ?

Les implications éthiques impliquent de déterminer si l’influence des modèles sur le comportement économique s’aligne sur les principes éthiques et moraux, tels que la justice, l’équité et le bien-être sociétal.

Comment l’économie comportementale peut-elle améliorer notre compréhension de la performativité ?

L’économie comportementale donne un aperçu des écarts par rapport au comportement rationnel, nous aidant à comprendre comment les modèles influencent les actions économiques qui ne sont pas conformes aux hypothèses économiques traditionnelles. Cela enrichit notre compréhension de la manière dont les facteurs psychologiques et sociaux interagissent avec les modèles économiques.

L’essentiel

La performativité dans la modélisation économique est le concept selon lequel les modèles économiques ont la capacité de façonner activement le comportement et les résultats économiques, au-delà de leur rôle traditionnel de description ou d’explication des phénomènes. Ces modèles peuvent devenir des prophéties auto-réalisatrices en influençant les décisions, les attentes et les actions des agents économiques. La performativité suggère que les modèles ne sont pas des observateurs passifs de la réalité économique mais des participants à la construction de cette réalité.

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