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Le marché des droits à polluer, R. Coase (Fiche concept)

Le marché des droits à polluer, R. Coase (1960)

En 2019, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) a publié un rapport au sujet du réchauffement climatique. Il suggérait une diminution des émissions nettes de CO2 de 45% entre 2010 et 2030 en vue de limiter le réchauffement à 1,5°C et d’approcher le 0°C vers 2050. Pour de multiples raisons, cette réduction conséquente des émissions permettrait d’éviter des effets irréversibles du réchauffement climatique si celui-ci venait à atteindre un niveau supérieur à +2°C à l’avenir.

Afin de répondre aux nouveaux enjeux environnementaux, des mesures incitatives ont été établies. Plus particulièrement, en supplément des mesures réglementaires, deux instruments de la politique économique ont été mis en place : la taxe pigouvienne et le marché des droits à polluer. 

En 1920, Arthur Cecil Pigou proposait le concept d’une taxe environnementale reposant sur le principe du « pollueur-payeur ». Ce mécanisme permettait d’obtenir un double dividende : à la fois un gain environnemental grâce à l’amoindrissement de la pollution et un gain fiscal (avec une réallocation possible vers des secteurs plus éco-responsables). Cependant, sa mise en application a suscité de nombreuses critiques concernant la détermination de son niveau « optimal » et de la nécessaire harmonisation des politiques fiscales au niveau mondial. 

Dans les années 1960, l’économiste Ronald Coase énonce le théorème suivant : « L’inexistence d’un marché découle de la mauvaise allocation des droits de propriété ». Dans le cadre de la pollution atmosphérique, il n’existait aucun marché qui permette de donner un droit à émettre des gaz à effets de serre et, in fine, à polluer. L’économiste John Dales poursuivra ce théorème en proposant la création d’un marché des droits à polluer. Ce dernier fonctionnerait de la manière suivante : considérant l’objectif mondial de réduction des émissions nettes de CO2, il conviendrait qu’une organisation extérieure mette en circulation une quantité définie de permis d’émission, distribuée selon les besoins des entreprises. Ainsi, les entreprises se verraient allouer une quantité de permis d’émission dits « négociables », qu’elles pourraient revendre ou acheter sur le marché en fonction de leurs besoins. Par conséquent, ceux qui auparavant polluaient en grande quantité, seraient encouragés à modifier leur comportement de production et à réduire leurs émissions. Par ailleurs, l’existence d’un tel marché permettrait de subventionner, par le rachat de leurs permis, les entreprises capables de réduire leur impact écologique. Dans cette situation, il n’est plus question de fixer un prix (comme pour la taxe), mais une quantité définie scientifiquement. On réussirait finalement à éliminer le problème du tâtonnement visant à trouver le juste prix de la taxe.

Par la quantité ou par le prix, chacun de ces instruments vise une modification des comportements en faveur d’une réduction des émissions de polluants. La seule différence repose sur la variable d’incertitude : prix ou quantité. En effet, dans le cadre de la taxe environnementale, l’incertitude du résultat plane autour de la quantité d’émissions finale. Par exemple,  certaines entreprises préfèreront payer la taxe (surtout si son niveau leur parait dérisoire) pour pouvoir continuer à polluer. De la même façon, dans le cadre du marché à polluer, si la quantité d’émissions à respecter est fixée, le prix des droits à polluer n’est quant à lui pas défini et pourrait s’avérer « sous-optimal ». 

Dès lors, la mise en place d’un tel marché se heurte à certaines limites. A l’échelle européenne, le marché européen du carbone, mis en place en janvier 2005, devait justement incarner « le plus grand marché de quotas environnementaux au monde ». Une première limite à ce marché tient au fait qu’il ne soit pas universel et donc, que certains secteurs se voient exemptés d’une restriction de leurs émissions. En raison d’une forte concurrence internationale, ce fut le cas de certains champions nationaux de l’aéronautique ou encore du transport maritime. Pour aller plus loin, la mise en place du marché européen du carbone s’est heurtée à deux principaux écueils : des prix trop bas et volatiles. En effet, la quantité distribuée de quotas étant beaucoup trop importante relativement aux besoins des entreprises, les prix des émissions carbone étaient dérisoires et empêchaient les effets positifs énoncés précédemment. Le second écueil s’explique par le caractère « financier » du marché du carbone. Presque la moitié des acteurs sur le marché sont des courtiers, traders ou banquiers agissant comme des intermédiaires à des fins spéculatives via des contrats à terme. En spéculant sur le marché, ces acteurs accentuent davantage la volatilité des prix en participant à la création d’un surplus de quotas par rapport aux émissions réellement constatées. Alors qu’en 2005, la tonne de carbone coutait 10 € puis 30 € en 2006, elle chute à 0,02 € à la fin de l’année 2007. La Commission Européenne évaluait à plus de 2 milliards, le surplus de quotas à la fin 2012. Pour autant, certaines solutions semblent envisageables pour résoudre ces différents problèmes. Par exemple, le « backloading » ou encore la création d’une réserve de stabilité qui permettraient d’éviter les surplus de quantité. 

En conclusion, Ronald Coase a tenté de poursuivre la recherche d’un système complet de marché qui aurait pu permettre par la suite une allocation optimale de l’économie. Cependant, comme toutes les solutions à la crise écologique à laquelle nous faisons face aujourd’hui, des problèmes politiques et financiers tendent à endiguer la possible amélioration de notre manière de produire et de consommer.

Gauthier Maisonnave

Inforgraphie réalisée par Anastasia Melachrinos

 

[i] L’ « objectif zéro émission nette » vise à ce que toutes les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine soient retirées grâce à des techniques de retrait qui sont soit naturelles, technologiques ou biochimiques.

 

Références :

«Réchauffement planétaire de + 1.5°C», Rapport GIEC, Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat, 2019

Pigou A.C., The Economics of Welfare, 1920