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Zone monétaire optimale, R. Mundell (Fiche concept)

La zone monétaire optimale, R. Mundell (1961)

La théorie des zones monétaires optimales a été pensée par Robert Mundell en 1961. Enseignant- chercheur d’origine canadienne, R.Mundell a grandement contribué à la réflexion des économistes sur la politique monétaire. Il a notamment été récompensé par le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 1999 pour l’apport de ses travaux sur la politique monétaire.

Alors que la théorie économique dominante des années 1960 est le keynésianisme et sa formalisation avec le modèle IS-LM, R.Mundell étend ce cadre de pensée à une économie ouverte avec le modèle de Mundell-Fleming. Ce dernier permet de distinguer les effets des politiques budgétaires et monétaires en fonction de régime de changes dans lequel se trouve le pays étudié. Concernant la politique monétaire, R.Mundell conclut à un triangle d’incompatibilité entre régime de changes fixes, politique monétaire autonome et libre circulation des capitaux. En effet, en régime de changes fixes, si la Banque Centrale mène une politique monétaire expansionniste, cela va entraîner la baisse du taux d’intérêt domestique, ce qui va, dans le cadre d’une libre circulation des capitaux, faire fuir les capitaux vers des investissements à l’étranger, qui sont alors plus rentables. La monnaie domestique va alors se dévaluer et la Banque Centrale sera forcée d’utiliser ses réserves de change pour compenser la dépréciation monétaire. Elle perd donc l’autonomie de sa politique monétaire dans le cadre d’un régime de changes fixes et libre circulation des capitaux. La question de la pertinence de l’union des banques centrales des pays dont les taux de changes sont fixes se pose alors.

Une zone monétaire optimale regroupe des pays dont la structure de l’économie est homogène et qui ont adopté une monnaie unique commune. La mise en place d’une union monétaire apporte la stabilité du taux de change entre les pays de la zone mais implique de renoncer à utiliser celui-ci comme instrument de politique économique. R.Mundell mène alors une analyse coût-bénéfice de l’union monétaire afin de définir des critères économiques selon lesquels les pays ou régions du monde auraient intérêt à adopter une monnaie commune.

La perte du taux de change comme instrument d’ajustement doit être compensée par d’autres mécanismes. Cela est d’autant plus vrai lorsque la zone monétaire est fortement susceptible d’être touchée par des chocs asymétriques. C’est par exemple le cas lorsque les pays sont spécialisés : si un pays A est spécialisé dans l’industrie automobile et un pays B orienté dans les énergies renouvelables alors un changement de goût des consommateurs pour les énergies renouvelables aura des effets asymétriques dans ces deux pays. Il va créer une demande excédentaire dans le pays B et donc une pression inflationniste alors que cela va engendrer un excès d’offre dans le pays A et donc une augmentation du chômage. La dépréciation monétaire qui serait bénéfique au pays A en régime de changes flexibles n’est pas possible en union monétaire. D’autres mécanismes doivent alors intervenir pour absorber le choc. La spécialisation des économies peut ainsi être un frein à la création d’une union monétaire car le régime de changes flexibles sera préférable pour ces pays. Peter Kenen insiste alors sur le fait qu’une économie diversifiée aura davantage intérêt à intégrer une union monétaire pour profiter de la stabilité du taux de change.

D’autres mécanismes peuvent néanmoins absorber un choc asymétrique au sein d’une union monétaire. Tout d’abord, la mobilité des facteurs de production peut permettre d’absorber le choc par une meilleure allocation des facteurs en fonction de la demande. Dans notre exemple, les travailleurs du pays A pourraient migrer vers le pays B pour répondre à la hausse de la demande dans celui-ci. Lorsque les travailleurs ne sont pas mobiles, une autre possibilité est l’ajustement par les salaires, on parle alors de dévaluation interne. Cette solution peut poser d’autres problèmes dans l’économie, elle peut notamment engendrer une baisse de la demande interne. Si les marchés du travail sont rigides, ces ajustements ne peuvent s’opérer. Cependant, cela peut être compensé par la mobilité des capitaux. Ingram souligne l’importance de l’intégration financière pour que les flux de capitaux puissent résorber les déséquilibres. Les déficits des pays en récession pourraient alors être réduits par les excédents des pays en expansion. Cette solution pose néanmoins des problèmes en termes de soutenabilité de la dette, comme cela a été le cas lors de la crise de la zone euro en 2012-2013. Ensuite, il est également possible de réduire la fréquence et l’ampleur des chocs asymétriques par la convergence des économies de pays de la zone. En effet, une zone dont les structures des économies évoluent de façon homogène sera moins sujette à des chocs asymétriques. Cela permet de réduire le coût d’opportunité lié à la perte de taux de change comme instrument d’ajustement. De plus, Robert McKinon considère qu’une économie dont le degré d’ouverture sur le commerce international est important aura davantage intérêt à intégrer une union monétaire pour profiter de la stabilité du taux de change. Enfin, l’intégration budgétaire et fiscale des pays peut également constituer un mécanisme d’ajustement aux chocs asymétriques. En effet, des transferts financiers entre régions pourraient aider à absorber ces chocs.

Lorsque les pays s’assurent d’avoir d’autres mécanismes d’ajustement pour parer la perte du taux de change, l’union monétaire offre plusieurs avantages. Tout d’abord, elle permet une stabilité du taux de change, ce qui élimine les risques de change. Cela est notamment intéressant pour les pays dont la monnaie nationale est faible car cela réduit les primes de risques inclues dans les taux d’intérêt.

Ensuite, cela diminue les coûts de transaction liés aux opérations de change et apporte une plus grande transparence des prix au sein de la zone, ce qui facilite les échanges entre pays. Enfin, cela permet de créer une monnaie internationale forte qui pourra servir de valeur refuge.

Tous ces avantages ont amené les pays européens à réfléchir à la constitution d’une union monétaire. De nombreux débats entre économistes surviennent alors et paradoxalement, la théorie des zones monétaires optimales est utilisée à la fois pour supporter et s’opposer à la création d’une monnaie européenne. D’un côté, certains économistes considèrent que l’Union Européenne ne répond pas ou partiellement aux critères de la théorie des zones monétaires optimales. De l’autre, R.Mundell et les défenseurs de l’union monétaire affirment que la création de l’euro va engendrer la convergence des économies européennes nécessaire pour parer à la perte du taux de change comme instrument de politique économique. Jeffrey Frankel et Andrew Rose défendent cet argument à travers l’idée de « critères endogènes ». Selon eux, une zone monétaire peut devenir optimale par le simple fait d’être mise en place.

La récente crise de la zone euro a remis au centre du débat la théorie de Robert Mundell pour questionner la mise en place de l’euro. Alors que certains économistes y voient une conséquence de la non-optimalité de la zone euro, d’autres pensent que l’intégration européenne devrait être plus poussée et proposent une intégration budgétaire et fiscale pour assurer la convergence des économies dans le futur.

 

Éva Youinou

 

Références :

Mundell, R. A. (1961). A theory of optimum currency areas. The American economic review, 51(4), 657-665.

Kenen, P. (1969). The theory of optimum currency areas: an eclectic view. Monetary problems of the international economy, 45(3), 41-60.

McKinnon, R. I. (1963). Optimum currency areas. The American economic review, 53(4), 717-725.

Ingram J. [1969], « Comment : The Optimum Currency Problem », in R. A. Mundell & A. Swoboda (eds), Monetary Problems in International Economy, Chicago University Press

FRANKEL, Jeffrey A., & Andrew K. ROSE (1998), « The endogeneity of the optimum currency area criteria », in The Economic Journal, vol. 108, n° 449.