Quelle est la capacité de production d’électricité française ? Que dit-elle de la trajectoire énergétique du pays ?
La production est la première étape dans la chaine de valeur de l’électricité. Si les énergies fossiles dominent encore largement la scène internationale, le mix énergétique[1] français se distingue par sa faible intensité en carbone. Il est la conséquence directe d’orientations stratégiques prises en faveur du nucléaire dès 1960. Aujourd’hui, l’électricité peut être produite à partir de plusieurs technologies dont l’empreinte carbone et l’impact sur les écosystèmes diffèrent. La trajectoire énergétique de la France surfe-t-elle sur l’essor des énergies renouvelables ?
Le graphique ci-dessus nous montre la structure du parc électrique français de 1980 à 2018. On y mesure la puissance électrique installée[2] de chaque source d’énergie en million de kilowatts. Ainsi, on peut observer l’évolution des capacités de production électrique de chaque filière. En 2018, le parc électrique français se compose de nucléaire (47,3 %), d’énergies renouvelables (39,5 %) et d’énergies fossiles (13,2 %). Il présente donc des niveaux d’émissions de CO2 très bas[3] par rapport aux autres pays européens. Selon RTE, gestionnaire du réseau public de transport d’électricité français, le facteur carbone à la production[4] en France était de 53 g/kWh en 2016 contre environ 560 g/kWh en Allemagne la même année.
L’importance de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique s’explique notamment par le déploiement d’un programme nucléaire civil de 1958 à 1970[5]. Le premier choc pétrolier de 1973 met en évidence la dépendance énergétique de la France et entraine la généralisation du système de production nucléaire[6]. Progressivement, la France devient exportatrice d’énergie électrique en Europe, en moyenne 48 milliards de kWh par an depuis 1980. La puissance électrique installée du nucléaire français a atteint un plateau à 63 GW depuis les années 2000 car la construction et l’entretien des réacteurs imposent de lourdes dépenses. Cette même année, la production nucléaire représente près des trois quarts de la production totale en France. Utiliser le nucléaire dans ces proportions n’est pas sans conséquences. Par exemple, la radioactivité résiduelle des centres de traitement des déchets radioactifs se transmettra de générations en générations[7].
Depuis 2000, les installations électriques renouvelables (solaire, éolien, biomasse et géothermie) connaissent un essor important, abstraction faite de la filière hydroélectrique, déjà bien équipée auparavant. La France, par sa taille et son climat, a le potentiel pour être un pays moteur dans le développement des énergies renouvelables.
L’énergie hydroélectrique est l’énergie renouvelable dominante dans le mix énergétique. La France compte 2300 installations hydrauliques et plus de 90 % de la production hydroélectrique française est assurée par 4 régions[8]. Pour autant, les centrales hydrauliques ont un impact significatif sur les écosystèmes[9] et le potentiel hydroélectrique français était déjà exploité à plus de 50 % en 2013[10]. Cela conduit les politiques publiques à encourager le développement d’autres sources d’énergie renouvelable. En effet, sur 40 ans, le parc hydro-électrique français affiche une puissance électrique installée en très légère hausse (8%).
A l’inverse, les capacités de production électrique éolienne bondissent. La puissance électrique installée de l’éolien en France augmente en moyenne de 21 % chaque année depuis 2007. Si la part de l’électricité d’origine éolienne n’est que de 9 % en 2018, la France est tout de même le 7eme pays producteur éolien dans le monde et le deuxième gisement éolien[11] en Europe, derrière la Grande Bretagne. Les éoliennes génèrent une puissance variable à cause des aléas météorologiques ; des vents trop, ou pas assez, puissants empêchent leur fonctionnement. Les difficultés de prévisions et les impacts sur les écosystèmes [12] peuvent décourager la hausse des capacités de production d’électricité éolienne terrestre.
Néanmoins, la façade maritime de la France s’étend sur 3 500 km et fait de son gisement éolien en mer une réelle opportunité. Ainsi, les ambitions sont grandes : la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) tablait en 2016 sur un doublement de la capacité installée d’ici à 2023. En 2019, la puissance installée d’électricité éolienne est conforme à ces prévisions et conforte le rôle majeur tenu par cette technologie dans la stratégie française de transition énergétique.
En ce qui concerne le solaire, bien qu’il accentue l’artificialisation des terres, c’est une solution pratique et soutenable pour les habitations éloignées des réseaux électriques. En 2017, le photovoltaïque concentre 61% des subventions aux énergies renouvelables[13]. Ainsi, la puissance installée d’électricité solaire a été multipliée par 10 entre 2010 et 2019. Cependant, la France a encore une marge de progression face à ses homologues européens. L’Agence pour l’Information sur l’Energie américaine (AIE) estime qu’en Allemagne la puissance solaire installée est de 49 GW contre seulement 10,5 GW pour la France.
La France use donc d’un mix énergétique à dominante nucléaire dans lequel les énergies renouvelables prennent une part plus importante au fil de l’augmentation de leurs capacités de production. Ce nouvel équilibre accompagne la consommation domestique et entretient l’excèdent commercial de la France pour ses échanges d’électricité.
Depuis 1980, la consommation nette d’électricité suit une tendance haussière avec une relative stabilisation de celle-ci dans les années 2000. En effet, de 401 milliards de KWh en 1999, elle grimpe à 450 milliards environ en 2019. Malgré la hausse de la demande domestique d’électricité, la France continue à exporter plus d’électricité qu’elle n’en importe. La montée en puissance du parc nucléaire français dans les années 80 permet à la France d’exporter 77 milliards de KWh en 2002, tout en assumant la croissance de son marché intérieur. Depuis, l’exportation d’électricité joue, dans une certaine mesure, le rôle de variable d’ajustement.
En conclusion, la dynamique lancée sur les énergies solaires et éoliennes est encourageante. Ces énergies ont un potentiel de développement encore important en France et sont donc des candidats crédibles pour assumer les besoins énergétiques à venir. Sur le long terme, la transition d’un mix énergétique à forte composante nucléaire vers un mix énergétique s’appuyant sur l’électricité du renouvelable tient à la capacité du nucléaire à porter cette transition -bien que d’autres stratégies soient privilégiées ailleurs qu’en France[14]. En effet, le système de production d’électricité doit couvrir l’appel de puissance consommée[15] à tout instant ce qui est difficile avec des énergies dépendantes de la météorologie. On peut se demander si la trajectoire énergétique française – à dominante nucléaire – est capable d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est l’objectif que la France s’est fixé dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.
Maxence Dolais
[1] Le mix énergétique désigne la répartition des différentes sources d’énergie (nucléaire, hydroélectrique, éolien, solaire, etc.) qui sont utilisées pour produire une énergie. De fait, afin de satisfaire ses besoins en énergie, chaque pays utilise dans des proportions différentes les sources d’énergie. Certains sont amenés à importer de l’énergie : c’est la dépendance énergétique.
[2] La puissance électrique installée est la puissance électrique maximale qu’un générateur d’électricité peut produire.
[3] Le nucléaire est, avec l’hydraulique, l’énergie la moins carbonée en France avec 6g de CO2/kWh contre 55 pour la photovoltaïque, 418 pour le gaz, 1060 pour le charbon.
[4] Le facteur carbone à la production est le contenu CO2 moyen annuel du kWh. Il se calcule en divisant les émissions directes du système électrique par le total de l’énergie produite. Pour en savoir plus voir Facteur carbone, PwC France, 2019.
[5] Le 24 juillet 1952, le premier plan quinquennal de l’énergie nucléaire est voté à l’Assemblée nationale. Il prévoit la construction de deux réacteurs expérimentaux, dont les travaux commenceront en 1955, complétés rapidement par un troisième.
[6] C’est le « plan Messmer » qui lance le 6 mars 1974 un vaste programme électronucléaire visant à doter la France d’une très importante industrie nucléaire. En dix ans, c’est plus de 100 milliards, garantis par l’État français, qui seront empruntés par EDF. Voir Topçu 2013 et Dänzer-Kantof et Torres 2013.
[7] L’électricité nucléaire rejette des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-Vl) et de haute activité à vie longue (HA-VL). La durée de vie de ces déchets s’étale sur des milliers voir des millions d’années alors même que la loi ne leur prévoit pas encore de filières définitives de stockage. C’est l’enjeu du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique pour les déchets) de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs).
[8] En 2019 : Auvergne Rhône-Alpes (45,6%), Occitanie (16,6%), PACA (14,5%) et Grand Est (14,3%).
[9] Voir « Evaluation scientifique de l’impact de l’hydroélectricité dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises » par la Station d’écologie expérimentale du CNRS.
[10] Voir « Connaissance du potentiel hydroélectrique français » par la DGEC (Direction Générale de l’Energie et du Climat) et la DEB (Direction de l’Eau et de la biodiversité) le 14 novembre 2013.
[11] Voir ADEME pour la cartographie des gisements éoliens.
[12] Voir « Impacts environnementaux de l’éolien français », ADEME, 2015
[13] On appelle subventions aux énergies renouvelables les charges de service public de l’électricité liées aux énergies renouvelables. Voir « Chiffres clés des énergies renouvelables – Edition 2019 », Commissariat général au développement durable.
[14] Par exemple, à la suite de la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne choisit de ne plus recourir au nucléaire d’ici 2022.
[15] Le système doit être capable de de fournir l’électricité qui est consommée seconde par seconde.