Les dépenses de R&D, en France et dans les pays de l’OCDE
Selon le Conseil d’Analyse Économique[1], les crédits publics en Recherche et Développement – R&D – (hors CIR) pour la santé de la France s’élevaient à 2,5 milliards de dollars en 2018 contre 3,5 milliards en 2011, soit une diminution de 28 %. Dans la course à la production d’un vaccin contre la covid-19, le laboratoire Sanofi atteste d’un retard d’un an dans la disponibilité de son vaccin tandis que l’Institut Pasteur, contraint par le retrait de leur laboratoire industriel associé Merck, a mis en arrêt son projet de vaccin. Si ces échecs ne peuvent-être directement attribués à une plus faible dépense de R&D dans le temps, et par rapport à des concurrents étrangers, il est intéressant de s’interroger sur l’évolution des dépenses de R&D, en France et à l’étranger.
Les dépenses de R&D désignent la dépense totale (courante et en capital) affectée aux travaux de R&D exécutés par l’ensemble des entreprises, instituts de recherche, laboratoires universitaires, et autres institutions ou personnes résidant du pays.
Sur le graphique, il est possible de voir que la France se situait en 2018 en dessous des dépenses moyennes de l’OCDE de R&D en pourcentage du PIB. La France dépensait 2.2 % de son PIB en R&D contre 2.4 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Ces dépenses françaises sont inférieures à l’objectif fixé par l’Union européenne dans le cadre de la « stratégie Europe 2020 », où les dépenses en R&D doivent atteindre 3 % du PIB. Depuis 1995, la France connaît une certaine stagnation de la part de la richesse nationale affectée à la R&D, qui reste autour de 2 %[2] alors qu’elle augmente et passe au-dessus des 2 % en moyenne dans l’OCDE.
Plus précisément, cette hausse de la moyenne des dépenses de R&D dans l’OCDE peut s’illustrer par une progression des parts du PIB affectées à la R&D dans plusieurs pays comme l’Italie, l’Allemagne ou les États-Unis. Les dépenses de R&D y passent respectivement de 0.93 %, 2.14 % et 2.41 % à 1.43 %, 3.13 % et 2.83 % de 1995 à 2018. En outre, il est possible de remarquer que la part de la richesse allemande consacrée aux dépenses de R&D croît de 46.6 % sur la période, mais qu’elle décroît de 2.14 % en France. Le même phénomène de stagnation est observé au Royaume-Uni où les dépenses de R&D en pourcentage du PIB et leur évolution est relativement faible. Si une telle conjoncture venait à s’inscrire dans le temps, l’écart pourrait se creuser entre l’Allemagne, les États-Unis d’un côté et la France et le Royaume-Uni de l’autre.
Pour mieux comprendre les dépenses de R&D, nous pouvons analyser la décomposition de ces dépenses. En d’autres termes, nous pouvons chercher à comprendre par qui et comment elles sont effectuées. Le panorama 2019 de l’effort de R&D du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et l’Innovation nous permet d’observer une vigoureuse progression de la R&D dans les entreprises, qui représentait plus de 65 % de la dépense intérieure de R&D en 2018 en France. Dans l’OCDE, la dépense intérieure de R&D des entreprises (DIRDE) affiche une progression de 5.0 % entre 2019 et 2016. En outre, c’est notamment l’Allemagne (+7.8 %), la Suède (+8.7 %) et les États-Unis (+4 %) où la DIRDE progresse tandis qu’en France la hausse est modérée (1.7 %).
Si la dépense intérieure de R&D est réalisée à 65 % par les entreprises en 2018 en France, les administrations publiques (y compris les universités) réalisent 35 % de ces dépenses intérieures de R&D. Dans Les dépenses publiques en faveur de la recherche (2020), François Ecale montre que la dépense intérieure de R&D réalisée par les administrations publiques, rapportée au PIB, a diminué à la fin des années 1990 pour finalement se stabiliser à un niveau relativement bas (0,75 et 0.8 % du PIB). La sous-performance française s’explique donc aussi par un investissement public en R&D qui stagne. Néanmoins, si les entreprises réalisent 65 % de la dépenses intérieure de R&D, elles ne la financent elles-mêmes qu’à hauteur de 56 %. En effet, l’État et les administrations publiques aident, plus que dans la majorité des pays de l’OCDE, les entreprises à réaliser des dépenses de R&D en proposant des aides publiques à la recherche et des commandes publiques.
Après avoir analysé la décomposition des dépenses de R&D, et avoir remarqué la stagnation de ces dernières en France, cela traduit-il un problème structurel de l’économie française ? Les conclusions ne sont pas si simples. En effet, selon la Fabrique de l’Industrie[3], il existe des explications structurelles aux différences de dépenses de R&D entre les pays et dans le temps. L’idée n’est donc plus d’établir un classement des dépenses de R&D mais de comprendre les différences qui l’explique. Premièrement, la structure de spécialisation économique d’un pays influence le niveau des dépenses de R&D. Si la France à des dépenses de R&D plus stables et relativement moins importantes c’est aussi parce qu’elle possède, certes des industries de pointe (aérospatiale, aéronautique, défense), mais beaucoup d’industries faiblement technologiques comme l’industrie agroalimentaire[4] où l’effort de R&D n’a pas besoin d’être important. Or, ce sont les industries de pointe qui ont tendance à investir en R&D afin de repousser la frontière technologique, qui représente l’ensemble des technologies existantes les plus efficaces. Les industries faiblement technologiques procèdent, quant à elles, à des investissements visant au rattrapage technologique, à l’imitation, et non plus par l’innovation financé par de la R&D.
Pour autant, si l’idée n’est pas de dénoncer le mauvais élève de l’OCDE concernant les dépenses en R&D, il n’en demeure pas moins que ces dépenses sont très utiles, notamment afin de favoriser des externalités positives. Les dépenses de R&D sont des exemples classiques de dépenses génitrices d’effets positifs sur l’économie. En outre, les dépenses de R&D sont incluses dans des modèles de croissance où l’innovation est « endogénéisée ». Selon le modèle de Romer (1986) de la croissance endogène, les dépenses de R&D où les incitations fiscales à la R&D permettent de favoriser l’innovation et leurs diffusions au sein d’une économie. L’innovation ne « tomberait pas du ciel » mais serait stimulée par ces dépenses. Dans ce sens, les dépenses de R&D sont d’autant plus nécessaire qu’un pays se rapproche de la « frontière technologique », qui se définit dans le modèle de croissance schumpétérien développé par Aghion et Howitt (1992) comme l’ensemble des technologies existantes les plus efficaces. Plus un pays est développé, plus l’apparition de nouvelles connaissances est nécessaire pour stimuler la croissance dans la mesure où ce pays ne peut plus « simplement imiter » les technologies voisines. Le pays est donc « à la pointe » est doit innover pour dépasser cette frontière technologique. Dans ce contexte, les dépenses de R&D sont d’autant plus importantes dans les pays développés. Enfin, l’innovation et les dépenses de R&D peuvent soutenir l’insertion d’un pays dans le commerce international. En effet, pour être compétitif, un pays doit être capable de proposer des produits moins chers que ces concurrents (compétitivité prix) ou de proposer des produits avec de meilleurs caractéristiques (compétitivité hors-prix). Dans les deux cas, l’innovation est nécessaire puisqu’elle peut permettre, soit de se tourner vers des procédés de production plus performants et moins onéreux (innovation de procédés), soit de développer de nouveaux produits (innovation de produit). Dans les deux cas, les dépenses de R&D permettent de soutenir cette recherche d’innovation et de stimuler la compétitivité d’une économie.
Conclusion :
Les objectifs de hausse des dépenses de R&D et l’encouragement de ces dépenses sont donc nécessaire afin de favoriser la croissance et l’innovation au sein d’une économie. D’autant plus quand cette dernière se rapproche de ce qu’on appelle la “frontière technologique”. Toutefois, de simples objectifs comptables ne peuvent parfaitement répondre au besoin d’innovation d’un pays. En effet, il faut tenir compte de la spécificité des économies et de la spécialisation économique. En prenant en compte ces caractéristiques, l’augmentation des dépenses de R&D serait, en théorie, plus efficaces (i.e. générant plus d’innovation) si elles concernent les secteurs particulièrement intensifs en R&D et permettant une meilleure compétitivité de l’économie.
Simon Cardoen
Aymann Mhammedi
Traduit du français par Claire Campbell
[EN]
According to the Conseil d’Analyse Économique (independent committee providing economic analysis and counsel to the government), public credit in Research and Development – R&D – (excluding Crédit d’impôt rechercheor CIR) for public health in France amounted to 2.5 billion USD in 2018 compared to 3.5 billion in 2011, which represents a decrease of 28%. In the context of the COVID-19 vaccine race, the laboratory Sanofi claims their vaccine won’t be available for another year and the Pasteur Institute, due to the withdrawal of their partner, the industrial laboratory Merck, have terminated the development of their vaccine. Although these failures cannot be directly attributed to low expenditure in R&D over time, as well as in relation to foreign competitors, it would be interesting to examine the evolution of R&D expenditure in France and abroad.
R&D expenditure refers to the total expense (ongoing and in capital) assigned to R&D work carried out by all companies, research institutions, academic laboratories and any other institution or person living in the country.
On the graph, we can see that in 2018, France was below the OECD’s average expenditure in R&D in percentage of GDP. France spent 2.2% of its GDP on R&D compared to an OECD average of 2.4%. France’s expenses were also below the target set by the European Union in the “Europe 2020” strategy, which requires R&D expenditure to equal 3% of GDP. Since 1995, France has seen a stagnation of its share of wealth allocated the R&D, which remains at around 2%, whereas the OECD average is on the rise and already above 2%.
More precisely, the increase in average R&D expenditure in the OECD can be explained by a rise in share of GDP allocated to R&D in many countries like Italy, Germany and the United-States. Respectively, investment in R&D has increased from 0.93%, 2.14% and 2.41% to 1.43%, 3.13% and 2.83% from 1995 to 2018. Moreover, we can point out that the share of wealth attributed to R&D in Germany increased by 46.6% over this same period, whereas France saw a decrease of 2.14%. A similar stagnation can be seen in the United Kingdom, where R&D expenditure in percentage of GDP and its evolution are both relatively low. If this trend was to persist, the gap between Germany and the United States on the one hand and France and the United Kingdom on the other would widen even further.
To have a greater understanding of R&D expenditure, we can examine the breakdown of these investments. In other words, we can look at by whom and how they are allocated. The “R&D efforts panorama 2019” from the Minister of Higher Education, Research and Innovation shows us a strong increase in corporate R&D, which in 2018 represented more than 65% of French domestic R&D expenditure. In the OECD, domestic corporate R&D expenditure (known as DIRDE in France, la dépense intérieure de R&D des entreprises) rose by 5% between 2016 and 2019. Furthermore, it’s notably in Germany (+7.8%), Sweden (8.7%) and the United States (+4%) where DIRDE growth is the strongest, while it is more moderate in France (+1.7%).
If corporate R&D investments account for 65% of total domestic R&D expenditure, then public administration (including universities) contributes 35% to this total. In Les dépenses publiques en faveur de la recherche (2020), François Ecale shows that R&D expenditure from public administration in terms of GDP declined at the end of the 1990s and today remains stable at around 0.75-0.8% of GDP. Thus, France’s underperformance can also be explained by these low and stable levels of public investment. However, despite representing 65% of total domestic expenditure, corporates only finance 56% of their R&D expenses. This is due to the fact that the state and public administration help firms with these investments, more than in most other OECD countries, through public research aid and procurement.
After having analysed the breakdown of R&D expenditure and noticing the recent stagnation in France, we could ask ourselves whether this illustrates a structural problem of France’s economy? Drawing a conclusion is not so simple. According to la Fabrique de l’Industrie, there are indeed structural explanations for differences in R&D expenditure over time and between countries. The idea here is not to create a ranking in terms of expenditure but to understand the differences which drive it. Firstly, the structure of a country’s economic specialisation influences the level of R&D expenditure. Another reason that France has relatively low and stable levels of expenditure is that, despite having some advanced industries (aerospace, aeronautics, defence), it has many low technological industries such as food-processing, where R&D efforts are less important. Indeed, investment in R&D is stronger in advanced industries where technological boundaries, that is to say existing technology of the highest efficiency, must continuously be pushed further.
Nevertheless, if the goal is not to point out the OECD’s worst pupil in terms of R&D expenditure, the fact remains that these investments have their worth, especially in terms of positive externalities. R&D investments are a classic example of expenses that generate positive effects on the economy. Furthermore, R&D expenditure is included in growth models where innovation is “endogenised”. In Romer’s endogenous growth model (1986), R&D expenditure and R&D tax incentives promote innovation and boost their distribution within the economy. Innovation does not simply “fall from the sky” but is stimulated by this expenditure. In this sense, R&D investments are required even more in a country close to the aforementioned “technological boundaries”, defined in the Schumpeterian growth model developed by Aghion and Howwitt (1992) as all of the existing technology of the highest efficiency. The more a country is developed, the more new knowledge is necessary in order to stimulate growth, as “simply imitating” neighbouring technologies is not enough. Therefore, this country is considered “cutting edge” and must innovate in order to overcome these technological boundaries. In this context, R&D expenditure is of the upmost importance in developed countries. Finally, innovation and R&D investments can also encourage a country’s entry into international trade. In order to be competitive, a country must be in a position to offer products at a lesser cost than its competitors (price competition) or offer products with better and more distinctive features (non-price competition). In both instances, innovation is essential as it enables either to adopt low cost and high-performing production methods (process innovation), or to develop new products (product innovation). In both cases, R&D investments encourage this innovative research and stimulate an economy’s competitiveness.
Conclusion : Increasing and encouraging R&D expenditure is therefore necessary in order to boost growth and innovation within an economy. This requirement is even stronger the closer a country finds itself to its technological boundaries. Nonetheless, simple accounting targets are not enough to meet a country’s innovative needs. One must also take into account certain features of economies as well as their specialisations. In doing so, increasing R&D investments would be, in theory, more efficient (i.e. would generate more innovation) if they are targeted to sectors that are in particular need of R&D and would boost an economy’s competitiveness.
[1]Selon entreprises.gouv.fr
[1] Comment expliquer les différences d’efforts de recherche et développement (R&D) entre les pays ? La Fabrique de l’Industrie (2013)
[1]Note du CAE « Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français ? », M. Kyle, A. Perrot (2021)
[2]Pour que le ratio croisse, il aurait fallu que la dépense en R&D augmente plus rapidement que la richesse intérieure crée (PIB)