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Dynamique des masses monétaires en zone euro (Graphique)

La masse monétaire est la quantité de monnaie actuellement présente dans l’économie, et est considérée comme une valeur cruciale à surveiller par les économistes et les banquiers centraux. En effet, celle-ci est reliée (de manière plus ou moins directe) à l’indice des prix [i] et à la croissance, qui sont les objectifs principaux de la plupart des banques centrales : stabilité monétaire et stabilité économique [ii]. L’idée générale étant que, plus de monnaie dans l’économie signifie des prix à la consommation, mais aussi immobiliers et d’actifs financiers, plus élevés ainsi que des volumes échangés plus importants (qui constituent le Produit Intérieur Brut dit réel). Cependant, il existe différentes écoles de pensée concernant les relations entre ces agrégats.

L’une des difficultés concernant la masse monétaire est sa mesure. En effet, il n’existe pas de frontière claire entre monnaie et crédit. Monnaie comme crédit sont des promesses que font certains acteurs à d’autres. Par exemple, quand une banque vous fait un crédit pour acheter une voiture, vous lui faites la promesse de lui rendre, plus tard, de la monnaie sous forme de dépôts bancaires. Mais, de la même manière, le montant que vous disposez sur votre compte chèque constitue une promesse de la banque de vous verser le même montant en argent liquide quand vous le désirez (le cash). De l’argent investi par votre part dans un fonds d’investissement, que vous ne pourrez retirer que dans 3 mois, constitue-t-il du crédit ou de la monnaie ? Cette incapacité à trancher clairement a conduit les économistes à donner plusieurs définitions à la monnaie, plus ou moins larges, pour être le plus précis possible.

Ainsi, l’agrégat monétaire M1 est simplement la somme des pièces et billets (le cash) et des dépôts bancaires à vue (c’est-à-dire qui peuvent être converti d’un jour à l’autre en cash). L’agrégat M2 est constitué de M1 plus des dépôts avec des préavis inférieurs à 3 mois et des dépôts à terme inférieurs à deux ans (livret A, Plan Epargne Logement…). Finalement l’agrégat M3 est constitué de M2 ainsi que des pensions, des placements dans différents types de fonds de court terme, ainsi que les titres de créances dont l’échéance est inférieure à deux ans.

Dans les années 70, le contrôle de la masse monétaire était le principal objectif intermédiaire des banques centrales (c’est le monétarisme). Depuis une trentaine d’années, face à la difficulté de cette tâche, les banques centrales se donnent d’autres objectifs intermédiaires, en utilisant en particulier leur taux d’intérêt. Contrôler la masse monétaire est particulièrement difficile, car ce ne sont justement pas les banques centrales qui créent la monnaie (ou du moins en toute petite partie). Ce sont en fait les banques commerciales qui sont les principaux acteurs de la création monétaire, par le crédit. C’est le fameux adage « les crédits font les dépôts » : la banque vous octroie un prêt, vous lui faites donc une promesse, en échange d’une augmentation de vos dépôts bancaires. Or, elles n’ont pas d’obligations de prêter, et ne le font que quand la situation économique leur semble favorable (et quand les entreprises et ménages leur demandent des prêts, ce qui n’est pas toujours le cas). Il est donc devenu crucial pour les banques centrales de prendre un rôle de protecteur des marchés financiers et de l’économie, pour rassurer les différents acteurs économique et financiers, afin que les banques commerciales fassent marcher la planche à billet.

Analysons l’évolution de la masse monétaire depuis les années 80 dans la zone euro, et en particulier sur la période récente. Elle subit une augmentation à peu près constante dans les années 80, qui ralentit petit à petit dans les années 90 (il y a un léger aplatissement). Puis, une envolée commence dans les années 2000, avant un arrêt brutal en 2008. Cette dynamique est simplement la manifestation du boom économique et financier des années 2000 (envolée du crédit, des prix d’actifs financiers et des prix de l’immobilier), puis de la crise des subprimes en 2007-2008, suivie en 2010 par la crise de la dette dans la zone euro (ayant pour déclencheur la crise grecque). Les banques sont en crise de liquidité et de confiance entre elles, et les entreprises ainsi que certains ménages sont en situation de grave incertitude. Résultat : les banques ne créent plus de monnaie. Petit à petit, la masse monétaire augmente à nouveau dans les années 2010, les perspectives économiques s’étant améliorées. Enfin, en 2020, en même temps que la crise sanitaire et donc économique, la quantité de monnaie explose.

Comment expliquer une hausse si rapide de la masse monétaire ? N’est-ce pas curieux en période de crise économique que de la monnaie soit créée ? Cette augmentation soudaine n’a rien de paradoxale, et a pour causes différents facteurs que nous allons détailler brièvement. La crise du coronavirus a plusieurs conséquences. Tout d’abord, elle a entraîné une préférence exceptionnelle pour la liquidité, c’est-à-dire que les agents économiques préfèrent largement détenir de la monnaie que d’autres actifs assimilables à du crédit. De plus, les ménages et les entreprises avec de la trésorerie constituent une épargne de précaution face à l’incertitude (et à l’impossibilité pour les ménages de consommer dans plusieurs secteurs de l’économie). Dans le même temps, les entreprises qui voient leurs revenus chuter vont souscrire à des emprunts pour payer les salaires ainsi que les différents coûts incompressibles. Ces emprunts sont en bonne partie permis par les garanties qu’offrent les différents Etats membres aux banques, ainsi que par la politique monétaire non-conventionnelle, exceptionnelle de par son ampleur, mise en place par la BCE pour contrer les effets de cette crise (le Pandemic Emergency Purchase Programme, ou PEPP), qui rachète pour 1850 milliards d’euros d’obligations (au maximum), en particulier d’Etat, afin de baisser au maximum les taux d’intérêt (par le mécanisme dit de l’effet balançoire). Le rachat en lui-même des obligations d’Etat (permettant des relances budgétaires) par la BCE est également un facteur de création monétaire. Des mots de Christine Lagarde : « There are no limits to our commitment to the euro ». Pour résumer cette augmentation de la masse monétaire en 2020, on pourrait donc dire qu’il s’agit avant tout d’épargne de précaution et de création monétaire de soutien aux entreprises et aux ménages qui n’ont plus de flux de trésorerie à cause de la crise, mais qui sont structurellement solides. Une preuve de cela est que, comme vous pouvez le voir sur le graphique, la hausse de M3 en 2020 est parfaitement contingente à la hausse de M1, principalement constituée de dépôts bancaires.

Conclusion : La masse monétaire est un agrégat crucial qui reflète la complexité de nos économies monétaires modernes. Elle est, en fonction des situations, liée à l’indice des prix et au revenu, mais traduit surtout des comportements et des interactions entre agents économiques. En 2020, la crise du coronavirus a eu pour conséquence indirecte de faire grimper très rapidement la masse monétaire. A présent, certains débats émergent entre économistes pour savoir si toutes les politiques monétaires et budgétaires ne vont pas se répercuter sur les prix. Ce retour de bâton semble cependant, pour beaucoup, un raisonnement trop mécanique ne prenant pas en compte de nombreux facteurs, comme l’incertitude, les forces structurelles déflationnistes, et l’aspiration de plus en plus forte de la monnaie par le secteur financier.

 

Maximilien Coussin

 

Références :

[i] Mesurée en France par l’indice des prix à la consommation ; voir Évolution de l’inflation en France, Partageonsl’éco, juin 2020.
[ii] La stabilité monétaire renvoie à l’objectif d’une inflation faible et stable de la banque centrale, et la stabilité économique à son objectif d’une croissance stable et soutenable.

Sources :

  • Bank of England, “How is Money Created?”.
  • Richard Werner, 2014, “Can banks individually create money out of nothing? — The theories and the empirical evidence”, International Review of Financial Analysis, Volume 36, December 2014, Pages 1-19.
  • BCE, “Monetary developments in the euro area: January 2021”.
  • Milton Friedman (1960), “A Program for Monetary Stability”, (New York: Fordham University Press).
  • Bulletin Economique BCE, Numéro 1, 2021, Synthèse.