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La loi psychologique fondamentale (Fiche concept)

La loi psychologique fondamentale de John Maynard Keynes (1936)

Les origines du concept

La loi psychologique fondamentale puise ses racines chez le statisticien prussien Ernst Engel. Ce dernier, en 1857, observe trois lois empiriques à propos de l’évolution des différents modes de consommation en fonction du revenu. La première stipule que la part allouée aux dépenses alimentaires, aussi appelée « coefficient d’Engel » est d’autant plus forte que le revenu est faible.

C’est 79 ans plus tard que John Maynard Keynes énonce sa loi psychologique fondamentale, au chapitre 8 de La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936. Il écrit : « La loi psychologique fondamentale, à laquelle nous pouvons faire toute confiance, à la fois a priori en raison de notre connaissance de la nature humaine, et a posteriori en raison des enseignements détaillés de l’expérience, c’est qu’en moyenne et la plupart du temps, les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que leur revenu croît mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu ».

On reconnait ici aisément la filiation avec la première loi d’Engel. Empiriquement, selon une étude de l’INSEE basée sur l’enquête Budget de Famille de 2003, en moyenne les ménages classés parmi les 20% les plus modestes ont consommé entre 100,4% et 110,3% de leur revenu disponible tandis que la part du revenu consacrée à la consommation était comprise entre 66,8% et 64,8% chez les 20% les plus aisés.

Implication pour la fonction de demande keynésienne

Dans le chapitre huit de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Keynes formalise la loi psychologique fondamentale. Conformément à l’énoncé de la loi Il écrit que la dérivée première de la consommation par rapport au revenu est positive mais inférieure à l’unité. Autrement dit, la propension marginale à consommer, c’est-à-dire la part consommée de toute unité monétaire supplémentaire de revenu, est comprise entre 0 et 1 et se rapproche de zéro à mesure que le revenu augmente.

On voit donc se dessiner une fonction de consommation croissante et concave dont il reste à déterminer l’ordonnée à l’origine. Intuitivement, on pourrait penser que lorsque le revenu est nul, le niveau de consommation l’est également. Toutefois, on représente le plus souvent la fonction de consommation avec une ordonnée à l’origine positive. Ce niveau de consommation positif qui ne dépend pas du revenu est appelé consommation incompressible. Il s’apparente à la consommation minimale qu’il faut pour survivre et à laquelle même les plus démunis parviennent à accéder.

En réalité, l’étude de l’INSEE montre que chez les plus démunis, le taux d’épargne peut être négatif. Cela correspond à la situation des ménages dont les besoins ne sont pas couverts par le revenu et qui doivent donc emprunter (crédit à la consommation, solidarité intra-familiale par exemple) pour subvenir à leur besoin. L’ordonnée à l’origine de la fonction de consommation peut donc être négative.

 Implication de la loi psychologique fondamentale pour la politique économique

 La forme de la fonction de consommation keynésienne elle-même tirée de la loi psychologique fondamentale n’est pas neutre en termes de politiques économiques. Elle soulève en effet la question des conditions auxquelles un soutien au revenu des ménages est bénéfique pour l’économie. Expliquer le rôle de la loi psychologique fondamentale dans la direction de la politique économique selon Keynes nécessite de faire un court détour par la notion du multiplicateur keynésien. Selon Keynes, pour toute somme introduite ex-ante dans le circuit économique, une part de cette somme va générer une hausse du revenu pour l’ensemble de l’économie et ainsi de suite jusqu’à épuisement du phénomène. Comment le justifie-t-il un tel mécanisme ?

En situation de plein emploi, la hausse du revenu ex-ante (une augmentation de la dépense publique distribuée à la population sous forme de revenu par exemple) génère une augmentation, d’une part de la demande, et d’autre part de l’épargne. La hausse de la demande génère, après ajustement des stocks, une hausse de la production tandis que la hausse de l’épargne qui résulte de l’augmentation du revenu disparaît du circuit économique. Elle est thésaurisée pour divers motifs, Keynes, en cite huit au chapitre 9 de la théorie générale : précaution, prévoyance, calcul, ambition, indépendance, initiative, orgueil et avarice. A ces huit motifs, il ajoute quatre motifs d’épargne pour les entreprises : le motif d’investissement, le motif de liquidité, le motif d’amélioration et le motif de prudence financière.

La hausse de la production permise par la hausse de la demande génère une augmentation de la demande du travail et donc une hausse des revenus qui se traduiront de nouveau par une augmentation de la demande et ainsi de suite.

Or, la loi psychologique fondamentale nous dit que la part consommée du revenu diminue à mesure que le revenu augmente et donc par miroir que la part épargnée du revenu augmente à mesure que celui-ci augmente. Ainsi, selon Keynes, la dépense publique est d’autant plus efficace   qu’elle est affectée aux ménages les plus pauvres. A contrario, lorsque la dépense publique bénéficie à une population aisée, le risque de fuite vers l’épargne est important limitant l’effet multiplicateur de la relance. Keynes justifie ainsi l’application des politiques de redistribution non plus d’un unique choix politique mais aussi au nom de l’efficacité économique.

Critiques de la loi psychologique fondamentale

Milton Friedman et Franco Modigliani ont rapidement remis en cause la pertinence de la loi psychologique fondamentale. Leur critique repose sur l’horizon temporel considéré : selon eux, la relation entre consommation et revenu tient peu du revenu courant mais plutôt de l’ensemble des revenus que l’individu percevra au cours de sa vie. Ainsi, la décision de consommer ou d’épargner est affectée par d’autres variables que le revenu perçu par l’agent à l’instant t : elle peut dépendre des dépenses futures anticipées ou de la variation des revenus futurs anticipés.

Robert Barro a critiqué la relance de l’économie sur le modèle keynésien (Voir fiche concept : L’équivalence ricardienne) en stipulant que la hausse des dépenses publiques destinées à la distribution de revenu supplémentaire au ménage peut être perçue par ces derniers comme une hausse future des impôts pour financer la dépense publique. Les agents anticipant cela épargnerait l’argent reçu pour pouvoir faire face à la hausse future des impôts ce qui annihilerait la relance. On voit parfaitement ici que la loi psychologique fondamentale ne s’applique pas puisque la hausse du revenu n’entraine pas de hausse de la consommation.

Une autre critique nous vient de la théorie du cycle de vie d’Ando et Modigliani : selon eux, l’épargne n’est constituée par l’agent que pour lui permettre de lisser son niveau de consommation tout au long de sa vie. Ainsi, l’agent emprunte au début de sa vie lorsque ses revenus sont faibles, remboursent ses emprunts et épargne à partir du moment où il devient actif puis désépargne une fois retraité jusqu’à la fin de sa vie. Dans cette théorie, le revenu courant n’occupe qu’une place marginale dans la détermination du niveau de consommation.

Enfin, l’économiste Simon Kuznets a montré en 1946 à partir de données sur la consommation et le revenu des ménages aux Etats-Unis que la propension moyenne à consommer est constante à long terme mais ne varie qu’à court terme. Une des explications de ce paradoxe peut être trouvée chez l’effet démonstration de Duesenburry (1949). Selon lui, le niveau de consommation absolu importe peu, c’est le niveau de consommation relatif par rapport au reste de la société qui compte le plus. Ainsi, les agents épargnent une proportion invariante de leur revenu qui correspond à la position qu’ils occupent dans l’échelle des revenus en sachant que cette proportion augmente à mesure que la position occupée par l’agent dans l’échelle des revenus augmente. Ainsi le taux d’épargne est indépendant du revenu absolu : par exemple, lors d’une crise, si l’ensemble des agents subit un choc de revenu négatif qui n’altère pas la structure des revenus dans la population alors, selon Dusenberry, les agents conserveraient le même taux d’épargne qu’avant la crise.

Émile Barrière

 

Références :

Keynes, J.M. (1936). Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie, petite bibliothèque payot, Edition de mars 1982.

Kuznets, S. (1946). National income: A summary of findings. NBER Books.

Alimi, R. S. (2013). Keynes’ Absolute Income Hypothesis and Kuznets Paradox.

Dusuenberry, James S. (1949). Income, Saving and the Theory of Consumer Behavior.

Drouhin, N. (2007). Choix intertemporel et loi psychologique fondamentale.