L’éruption d’une crise économique est toujours l’occasion de voir ressurgir les débats historiques importants qui divisent la communauté économique. La crise économique qui a découlé de la crise sanitaire de la COVID-19 n’a pas fait exception. En Europe, les leçons de la crise de 2008 en termes de réaction de la politique économique semblent avoir été retenues.
Les autorités monétaires ont réagi plus rapidement et dans une ampleur plus grande qu’au lendemain de la crise des Subprimes et surtout, n’ont pas été abandonné par les acteurs de la politique budgétaire qui avaient intégralement confié le soutien à l’économie aux autorités monétaires une fois l’économie mondiale paralysée à l’automne 2008. La crise de la Covid-19 a en effet été l’occasion d’assister à la première collaboration européenne en matière de politique budgétaire qu’incarne le projetNextGenerationEU au travers du « Recovery and Resilience Facility ». Si l’ampleur de la réponse de la politique économique a été saluée par l’ensemble de la communauté économique, la question des outils à employer pour la conduite du soutien budgétaire n’a en revanche pas trouvé de réponse consensuelle.
En particulier, le recours à l’endettement publique et conséquemment le creusement des dettes publiques, dans une Europe encore marquée par les souvenirs de la crise des dettes souveraines de 2010- 2012, a ravivé le débat autour des moyens à employer pour le financement du soutien budgétaire. Fallait- il avoir recours à l’impôt ? Une telle mesure aurait risqué de pénaliser le dynamisme de la reprise alors que les policymarkers attendaient beaucoup de la croissance de la consommation et de l’investissement. Fallait-il accroître le déficit public ? Cette solution a été critiqué par beaucoup pour les conséquences sur l’alourdissement du fardeau de la dette publique.
Sans prétendre trancher la question, Partageons l’Eco propose le décryptage d’un des points clefs du débat : la relation entre le poids de la dette dans le PIB et les intérêts payés par l’Etat français sur sa dette arrivée à échéance.
Cette question nécessite de se pencher sur la définition de la dette publique. Selon l’Insee la dette de l’Etat correspond à « l’ensemble des emprunts émis ou garantis par l’Etat dont l’encours résulte de l’accumulation des déficits » [i]. La dette des administrations publiques françaises est donc un stock formé par l’accumulation des déficits publics et leur financement.
Cette notion renvoie donc immédiatement à celle du déficit public. Toujours selon l’Insee, le déficit public « correspond au besoin de financement des administrations publiques … Au sens de Maastricht, il mesure la différence entre l’ensemble des dépenses courantes, dépenses d’investissement et transferts en capital qu’elles effectuent d’une part, et l’ensemble de leurs ressources non financières d’autre part » [ii]. Ainsi, la question du rôle des intérêts dans le compte de la dette publique se pose nécessairement.Les intérêts payés par l’Etat français sur sa dette agissent comme une dépense et contribuent donc à gonfler le déficit et donc in fine, d’après ces deux définitions, la dette des administrations publiques.
Pourtant, si l’on regarde la trajectoire suivie par les intérêts payés par l’Etat français sur sa dette arrivée à échéance et la trajectoire suivit par le poids de la dette dans le PIB, à partir de 2012, on observe une relation inverse : les intérêts payés par l’Etat français diminuent tandis que la dette en pourcentage du PIB a augmenté.
Entre 2012 et 2020, les intérêts payés par l’Etat français sur sa dette ont diminué de 36 % environ alors que la dette publique a augmenté de 37 % sur la même période. Ce phénomène s’explique par la diminution des taux d’intérêts payés sur la dette. En effet, le taux d’intérêt associé au produit « TEC – 10 », indice fictif correspondant au rendement d’une OAT (Obligation assimilable au Trésor) d’une maturité exactement égale à 10 ans a fortement diminué : de 4,86 % en juillet 2008 jusqu’à passer enterritoire négatif pour la première fois en juillet 2019. Dans cette lignée, la Cour des Comptes a notamment montré que la baisse des taux d’intérêts a entrainé la diminution de 40 % des déficits publics entre 2011 et 2016 [iii].
Ainsi, une partie de la communauté scientifique jugeait dangereux d’avoir recours à l’endettement public dans le contexte où la dette publique française atteint déjà des niveaux élevés. En effet, au regard de la trajectoire croissante de la dette publique française, si les marchés se mettaient à s’interroger quant à la soutenabilité de cette dernière, les taux d’intérêts risqueraient de remonter et ainsi de renchérir le recours à l’emprunt, d’alourdir les déficits et in fine de plomber la dette ce qui tendrait à renforcer la crainte des marchés etc… entraînant les finances publiques dans un cercle vicieux dont la sortie est difficile sans avoir recours aux politiques d’austérité.
D’autres économistes considèrent cet évènement peu probable au regard de plusieurs facteurs : la crise, du fait des politiques misent en place pour maintenir les revenus des agents (chômage partiel, Prêts Garantis par l’Etat etc…) et des limites à la consommation et à l’investissement compte tenu des contraintes imposées par les restrictions misent en place pour enrayer la propagation du virus, a largement contribué à accroître l’épargne des ménages et des entreprises. Ce surplus d’offre sur le marché des titres participe à maintenir une pression à la baisse sur le prix des actifs financiers, les taux d’intérêts.
En outre, les titres de dette française jouissent d’une liquidité importante et sont donc jugés par les marchés comme un actif sûr ce qui tend à freiner la remontée des taux. Par conséquent, ces économistes appellent plutôt à profiter des conditions favorables de financement (contexte de taux bas au regard de l’histoire économique récente) pour utiliser l’endettement public comme palliatif aux effets de la crise et pouvoir ensuite rembourser à coûts raisonnables.
Si le débat n’a pas trouvé de réponse consensuelle, la dynamique inflationniste qui court de nouveau et qui semble plus durable qu’anticipée [iv] il y a quelques mois pourrait venir rajouter un nouvel ingrédient au débat. Sous la pression de la remontée des prix, les banques centrales pourraient, à termes, remonter leur taux d’intérêts directeurs et, dans leur sillage l’ensemble des taux d’intérêts. Toutefois, Christine Lagarde, la Présidente de la BCE, a annoncé que la BCE ne doit pas « surréagir » aux effetstransitoires sur l’inflation faisant remarquer que celle-ci résulte surtout d’effets de base suite à la récession enregistrée l’an passé [v].
Emile Barrière
Références :
[i] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1553 [ii] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1750
[iii]http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.ccomptes.fr%2FCC%2 Fdocuments%2FRSFPE%2FRSPFPJO.pdf
[iv] https://www.caissedesdepots.fr/blog/article/inflation-partie-12-un-pic-plus-haut-et-durable-que- prevu
[v] https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/lagarde-bce-met-en-garde-contre-une-reaction- exageree-a-l-inflation-1981883.php
Données :
• Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5354766?sommaire=5354786
• Banque de France : http://webstat.banque-france.fr/fr/#/home
• DBnomics : INSEE/CNA-2014-DETTE-APU | DBnomics OECD/MEI | DBnomics