En 1979, une expérience d’exploitation minière en eaux profondes a creusé les fonds marins. 44 ans plus tard, on découvre à peine les conséquences.

L’exploitation minière des fonds marins fait l’objet de nombreux débats dans la communauté scientifique. En 1979, une expérience pionnière a permis d’étudier l’impact de cette activité sur l’écosystème sous-marin. Aujourd’hui, 44 ans plus tard, les chercheurs analysent les conséquences à long terme de cette perturbation, fournissant des données précieuses pour évaluer la viabilité de l’exploitation des ressources sous-marines.

L’expérience de 1979 dans la zone Clarion-Clipperton : un laboratoire sous-marin

En 1979, une équipe de scientifiques a mené une expérience pionnière d’exploitation minière sous-marine dans la zone Clarion-Clipperton (CCZ), située dans l’océan Pacifique. Cette région, qui couvre environ 6 millions de kilomètres carrés, soit 2% de la plaine abyssale mondiale, suscite aujourd’hui un vif intérêt pour l’industrie minière sous-marine.

L’objectif de cette expérience était d’évaluer la faisabilité et les impacts potentiels de l’extraction des nodules polymétalliques, souvent surnommés « pommes de terre des profondeurs ». Ces concrétions naturelles, riches en métaux comme le nickel, le cobalt et le manganèse, sont particulièrement convoitées pour la fabrication de batteries, élément clé de la transition énergétique mondiale.

Une étude récente, co-dirigée par le Centre National d’Océanographie et le Muséum d’Histoire Naturelle de Londres, a revisité ce site expérimental pour évaluer les changements survenus au cours des quatre dernières décennies. Les résultats de cette recherche, publiés dans la revue Nature au printemps 2025, apportent un éclairage crucial sur les effets à long terme de l’exploitation minière sous-marine.

L’observation la plus frappante concerne les traces laissées par la machine d’exploitation : 44 ans après l’expérience, ces marques semblent avoir été faites hier. Cette persistance témoigne de la lenteur des processus biologiques dans les grands fonds marins, où les conditions extrêmes (pression, température, absence de lumière) ralentissent considérablement les cycles naturels de régénération, à l’inverse de ce qu’on peut observer dans la lutte contre les nuisibles dans nos jardins.

Impact différencié sur la biodiversité marine profonde

La recherche menée sur ce site expérimental révèle des impacts variables selon les types d’organismes observés. L’étude a permis d’identifier trois catégories principales d’impacts :

  • Modifications physiques du plancher océanique
  • Recolonisation partielle par certaines espèces
  • Absence de récupération pour les organismes de grande taille
  • Effets limités des panaches sédimentaires

Les scientifiques ont constaté qu’une section de 8 mètres du plancher océanique avait été complètement dépourvue de nodules, avec des sillons visibles de chaque côté, marquant le passage de la machine d’extraction il y a plus de quatre décennies. Ces marques physiques témoignent de la lenteur des processus de régénération dans ces environnements extrêmes.

Concernant la biodiversité, les résultats montrent des signes encourageants de recolonisation par certains organismes. La surface des sédiments abrite désormais plusieurs espèces d’animaux petits et mobiles, notamment des xénophyophores (organismes unicellulaires géants semblables à des amibes) communs dans d’autres régions de la CCZ.

En revanche, la situation est très différente pour les animaux de plus grande taille, particulièrement ceux fixés au plancher océanique. Ces organismes restent extrêmement rares dans les zones perturbées et montrent peu de signes de récupération après 44 ans, soulevant des questions importantes sur la résilience à long terme de ces écosystèmes face à l’exploitation industrielle.

Type d’organisme Niveau de recolonisation après 44 ans Implications pour l’exploitation minière future
Organismes petits et mobiles Modéré à bon Impact potentiellement réversible à long terme
Xénophyophores Bon Résilience relative de certaines espèces
Organismes fixés et de grande taille Très faible Risque de perte irréversible de biodiversité

Enjeux futurs et zones de protection pour la préservation des écosystèmes

L’un des aspects fondamentaux que cette étude met en lumière concerne la difficulté d’extrapoler les impacts observés à une échelle plus large. Comme le souligne le Dr Adrian Glover du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres : « Il est très difficile, voire impossible, d’extrapoler l’impact écologique de cette perturbation isolée à des effets écosystémiques ou globaux. »

Cette difficulté s’explique par les différences d’échelle considérables entre l’expérience de 1979 et les projets miniers commerciaux envisagés. Alors que l’expérience ne concernait qu’une zone restreinte, les exploitations commerciales futures pourraient couvrir jusqu’à 10 000 kilomètres carrés, bien que cela reste relativement petit comparé à la superficie totale de la zone Clarion-Clipperton.

Face à ces incertitudes, les scientifiques ont travaillé au cours des deux dernières décennies à l’établissement d’un système de zones protégées dans la région. Ces aires de conservation couvrent aujourd’hui près de 2 millions de kilomètres carrés, soit environ 30% de la zone sous exploration. Toutefois, des questions subsistent quant à l’efficacité de ces mesures de protection.

Le Dr Glover souligne l’importance d’approfondir nos connaissances sur la biodiversité des zones protégées pour pouvoir la comparer à celle des zones sous contrat d’exploration. Cette démarche permettrait d’évaluer plus précisément le potentiel de perte de biodiversité causée par l’exploitation minière et devrait constituer une priorité pour les recherches futures.

  1. Cartographier la biodiversité des zones protégées et des zones contractuelles
  2. Évaluer l’efficacité des aires marines protégées
  3. Développer des techniques d’exploitation moins invasives
  4. Établir des protocoles de surveillance à long terme
  5. Renforcer la gouvernance internationale des ressources sous-marines

Cette étude pionnière constitue une première étape cruciale dans la compréhension des impacts à long terme de l’exploitation minière sous-marine. Les données recueillies permettront d’éclairer les décisions futures concernant l’utilisation des ressources des grands fonds marins, dans un contexte de demande croissante en métaux pour la transition énergétique mondiale.

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