Menu Fermer

La monétisation de la dépense publique (Fiche concept)

 

Le concept de « monétisation de la dépense publique » semble recouvrir plusieurs sens. Le terme refait vraisemblablement surface dès lors que la question du financement des dépenses de l’État par la Banque centrale se pose. Mais qu’en est-il vraiment ? S’il fallait le dire en quelques mots, cela désignerait le recours à la création monétaire comme instrument de financement des dépenses publiques qui augmente durablement la base monétaire (pièces et billets en circulation, réserves des banques sur leur compte à la Banque centrale). Si le terme semble avoir plusieurs sens, c’est sûrement parce qu’il y a plusieurs façons pour la Banque centrale de financer les dépenses de l’État. On en distingue trois principales. Revenons sur ces différentes modalités et tentons d’expliciter ce qui relève ou non de la monétisation des dépenses publiques.

Pour financer un État, une Banque centrale peut tout d’abord acquérir ses titres de dette, appelés également obligations souveraines. En zone euro, la Banque centrale n’est pas autorisée à intervenir sur le marché primaire d’émission de la dette [i]. Elle rachète donc des obligations souveraines sur le marché secondaire, à savoir le compartiment du marché où les investisseurs s’échangent des titres précédemment émis. C’est le processus qui est à l’œuvre lorsque la Banque centrale européenne recourt à des opérations de quantitative easing. Par ces opérations, elle procède en effet à des rachats massifs de titres de dettes (titres souverains, obligations privées) auprès des banques commerciales, des fonds communs de placement et d’investisseurs étrangers [ii]. Le financement de l’État par la Banque centrale est donc indirect. Par ailleurs, dans la mesure où les titres souverains acquis par la Banque centrale ont vocation à être remboursés et de fait, à ne pas figurer de façon permanente à son bilan, on ne peut pas réellement parler de monétisation des dépenses publiques au sens strict du terme.

Le financement direct de l’État par la Banque centrale, lorsqu’il est autorisé, constitue une deuxième possibilité. Il consiste pour la Banque centrale, à octroyer directement des prêts à l’État sans passer par le marché obligataire. En période de crise, c’est une façon de lui assurer un financement à bas coût sans l’exposer à la volatilité des marchés. C’est notamment ce que la Banque d’Angleterre s’est engagée à faire en avril dernier, en réactivant une ligne de crédit pour le Trésor anglais. Là encore, dans la mesure où ces prêts doivent faire l’objet d’un remboursement, on ne peut pas a priori parler d’une véritable monétisation des dépenses publiques. C’est néanmoins un mode de financement plus direct pour l’État que celui permis par les opérations de quantitative easing.

Si ces deux premières modalités de financement ne peuvent être qualifiées a priori de monétisation des dépenses publiques, elles pourraient l’être ex-post. En 2013, dans un rapport de la Réserve Fédérale de Saint-Louis [iii], D. Andolfatto et L. Li apportent un éclairage sur cette éventualité. Les auteurs y rappellent le sens général du concept de monétisation de la dette*, à savoir « l’utilisation de la création monétaire comme source permanente de financement des dépenses publiques ». De ce fait, poursuivent-ils, « pour savoir si la Fed a effectivement monétisé ses achats […] d’obligations souveraines depuis 2008, nous devons savoir ce que la Fed a l’intention de faire de son portefeuille d’actifs au fil du temps. ». De cette manière, si la Banque centrale venait à renoncer au remboursement des obligations souveraines qu’elle détient, ou des prêts qu’elle aurait accordés, on pourrait alors parler de monétisation des dépenses publiques.

Enfin, une troisième possibilité consisterait pour la Banque centrale, en un financement direct et sans contrepartie des dépenses publiques, une sorte de monnaie hélicoptère pour l’État. En d’autres termes, la Banque centrale financerait l’État par des transferts directs de monnaie centrale, sans en exiger le remboursement. Dans ce cas, la Banque centrale aurait une sorte de « créance » perpétuelle sur l’État, mais une créance fictive dans la mesure où celle-ci ne serait jamais remboursée. Il s’agirait ainsi, d’une véritable monétisation des dépenses publiques au sens strict du terme. Pour l’instant, c’est un mode d’intervention qui ne figure pas parmi les outils à la disposition des Banques centrales mais qui fait l’objet de nombreuses discussions entre les économistes [iv].

Ainsi, on parle de monétisation des dépenses publiques quand une Banque centrale détient de manière permanente à son actif, une créance sur un État, que celle-ci soit fictive ou non. Dans le cas du financement direct et sans contrepartie, la créance est fictive et permanente. Ce n’est a priori que dans ce cas que l’on peut parler d’une véritable monétisation des dépenses publiques. Dans le cas du quantitative easing et des prêts directs aux États, la créance est bien réelle mais n’a pas vocation à figurer de manière permanente au bilan de la Banque centrale. Si toutefois, pour une quelconque raison, les créances détenues par la Banque centrale dans le cadre de ces deux types d’opérations revêtaient une dimension permanente, on pourrait alors parler de monétisation des dépenses publiques.

 

 

 

 

Rose Portier,

infographie par Anastasia Melachrinos

Notes : 

Parler de « monétisation de la dette » est un abus de langage, précisément parce que monétiser la dépense publique permet d’éviter la dette. Au sens strict du terme, cela consiste en effet en un financement du Trésor par un transfert direct et sans contrepartie de monnaie centrale. Il n’y a donc pas de dette a priori. Dans le cas du quantitative easing et des prêts directs en revanche, la Banque centrale détient effectivement une créance sur l’État. On comprend mieux alors, l’envie de parler de « monétisation de la dette » si l’institution centrale venait à renoncer à leur remboursement ou à les détenir de façon perpétuelle. Néanmoins, si tel était le cas, la dette initiale de l’État envers la Banque centrale n’en serait plus vraiment une. Il est donc plus approprié de parler de monétisation de la dépense publique.

 

[i] Article 123 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, disponible à : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT

[ii] Koijen R.S.J., Koulischer F., Nguyen B., Yogo M. (2019), “Inspecting the Mechanism of Quantitative Easing in the Euro Area”, NBER Working Paper, No. 26152.

[iii] Andolfatto D. et Li L. (2013), “Is the Fed Monetizing Government Debt”, Federal Reserve Bank of St. Louis, Economic Synopses, disponible à : https://files.stlouisfed.org/files/htdocs/publications/es/13/ES_5_2013-02-01.pdf

[iv] Couppey-Soubeyran J. (2020), « La monnaie hélicoptère contre la dépression dans le sillage de la crise sanitaire », Note de l’Institut Veblen, disponible à : https://www.veblen-institute.org/IMG/pdf/note_veblen_monnaie_helicoptere_jezabel_couppey-soubeyran_vers_fin_.pdf