Le trilemme de Rodrik, D. Rodrik (2008)
Mondialiser l’économie, sauvegarder la puissance nationale et approfondir la démocratie sont-ils des objectifs compatibles ? Dans Nations et mondialisation paru en 2008, Dani Rodrik défend l’idée qu’à l’aune d’une époque marquée par une profonde interconnexion et interdépendance des économies mondiales, la souveraineté nationale et les instances démocratiques semblent être menacées.
Professeur d’économie politique à la John F. Kennedy School of Governement de l’Université d’Harvard, Dani Rodrik s’intéresse aux politiques gouvernementales et plus particulièrement à la définition d’une « bonne politique économique » pour les pays émergents. Il s’oppose fermement aux thèses inscrivant le libre échange comme solution idéale de développement et facteur obligé de la croissance.
À l’instar du triangle d’incompatibilité de Robert Mundell, Dani Rodrik présente à son tour un trilemme. Plus précisément, il souligne l’incompatibilité entre : une intégration économique approfondie qu’il appelle l’hyper-mondialisation, la démocratie et la souveraineté nationale. Il explique qu’une « communauté politique » ne peut concilier un processus politique démocratique permettant de constituer des majorités dont les choix sont respectés, une intégration économique et monétaire et finalement le maintien d’une puissance nationale absolue et perpétuelle. Pour son bon développement, une communauté politique est contrainte de choisir deux de ces trois objectifs de ce trilemme:
« La démocratie, la souveraineté nationale et une intégration économique poussée sont mutuellement incompatibles : il est possible de combiner deux des trois possibilités, mais il n’est jamais possible d’avoir les trois simultanément et entièrement. » Dani Rodrik, Nations et mondialisation (2008).
Dès lors, selon Dani Rodrik, les alternatives possibles sont les suivantes :
- Si les pays donnent la priorité à une forte intégration économique ainsi qu’aux institutions démocratiques alors ils renoncent à leur souveraineté nationale. Ils optent dans ce cas, comme l’ont décidé les États-Unis pour le « fédéralisme global ».
- Le régime dit de la « camisole dorée » concerne les pays combinant l’intégration économique et la souveraineté nationale. Dans ce cas, les pays doivent renoncer à la présence d’institutions démocratiques. C’est particulièrement le cas de la Chine qui donne la priorité à l’intégration économique et à sa souveraineté au prix de la démocratie.
- La dernière alternative est celle du « compromis de Bretton Woods » qui a tenté de combiner souveraineté nationale en permettant la mise en œuvre de politiques économiques relativement autonomes et la défense des principes démocratiques des pays occidentaux dans un monde encore peu mondialisé.
Dans « An interview on Europe, globalization, and the future of the Eurozone » (2012) Dani Rodrik montre que l’Europe est « l’exception qui confirme la règle ». En supposant que les nations européennes ne souhaitent pas renoncer à la démocratie, elles doivent faire le choix entre l’intégration économique et la souveraineté nationale. Une intégration économique mondiale approfondie exige que la zone euro s’accorde autour de structures politiques et fiscales communes conduisant à une perte de souveraineté économique des États. En l’absence d’union fiscale, budgétaire, politique, la zone euro devra renoncer à une monnaie unique et à un marché unifié :
« That is Europe’s dilemma. Either more political Europe, or less economic Europe. There is no stable in-between. ».
Dani Rodrik montre que l’Europe qui a privilégié la construction du marché unique sans pour autant suffisamment européaniser sa politique économique doit faire face au creusement du déficit démocratique : les institutions européennes imposent des règles budgétaires mais aussi des politiques structurelles sans réel débat démocratique. Par ailleurs il précise que sans un fédéralisme, l’Europe est plus largement menacée en cas de crise. En prenant l’exemple de la Californie et de la Grèce suite à la crise de 2008, Dani Rodrik explique comment la mondialisation ne peut fonctionner que si les États obéissent aux mêmes règles. Alors que la Fed et le reste des États fédérés sont prêts à venir en aide à la Californie qui leur a cédé une grande partie de sa souveraineté, la Grèce n’a pu compter sur la présence d’institutions européennes solides pour la sauver : « l’inachèvement des institutions européennes laisse l’Europe vulnérable face à la crise ».
L’histoire a montré l’instabilité de ces relations puisque quelques pays remettent en cause leur caractère démocratique au profit de leur intégration mondiale tout en pérennisant leur souveraineté nationale. Le transfert de la souveraineté nationale au profit d’institutions démocratiques et régionales pourrait permettre à l’Union européenne de sortir de ce trilemme.