Des taux d’intérêt de long terme
Ce graphique représente l’évolution des taux d’intérêts de long terme de pays de la zone euro. Ce sont les taux des Obligations Assimilables du Trésor (OAT) qui constituent l’une des formes privilégiées de financement à long terme pour les États. Ces titres financiers représentent un emprunt fait par l’État pour une durée comprise entre 2 et 50 ans. Les OAT à 10 ans sont indexées sur l’indice des rendements des emprunts d’États à long terme : le TEC10. Il s’agit donc d’obligations d’États dont le principal est remboursé en un seul versement, à une date d’échéance fixée.
À partir de 1998, les taux d’intérêts des différents pays ont commencé à converger. En effet, l’un des « critères de convergence » du traité de Maastricht (ayant fondé l’Union Européenne en 1992) concernait les taux d’intérêts : les pays souhaitant entrer dans la zone euro devaient avoir des taux d’intérêt de long terme n’excédant pas de plus de 2 % ceux des trois pays membres les plus stables en matière d’inflation. À ce titre, l’intégration européenne a fonctionné, puisque les taux d’intérêts des différentes économies se sont alignés, évoluant à l’unisson pendant dix ans. Même la Grèce, entrée en 2001 malgré des taux théoriquement trop élevés, a vu ses taux longs se confondre avec ceux des autres pays de la zone.
Les répercussions des crises sur les OAT
Cependant, la convergence taux d’intérêts semble avoir masqué des différences économiques entre les pays. Les taux bas ont conduit les banques à assouplir leurs conditions de crédits. Cette hausse des liquidités a créé des bulles immobilières et une montée de l’endettement global des pays du sud de l’Europe. Les perspectives de croissances économiques, la dégradation de leurs balances courantes et la perte de confiance des investisseurs peuvent ainsi expliquer une remontée des taux d’intérêts en Italie, en Espagne et en Grèce. Ce qui signifie une hausse du coût du financement des États. Dans le même temps, les taux des pays du nord de l’Europe ont continué de décroître.
Les dettes publiques européennes ont donc été amplifiées par une hausse des taux dans les pays du sud (Italie, Grèce, Espagne..). Ce phénomène, en particulier en Grèce où les taux ont atteint des sommets début 2012, a favorisé l’émergence de la crise des dettes souveraines, qui menaça la viabilité de la zone euro. L’été suivant, le président de la BCE, Mario Draghi, annonça le début d’une nouvelle ère : celle du « Whatever it takes » (le « quoi qu’il en coûte » monétaire), où la BCE rassura les investisseurs, notamment en affirmant pouvoir pratiquer des rachats de titres de dettes des pays sur le marché secondaire en cas de nécessité. Les années suivantes, face à la menace croissante de la déflation, la BCE prit également plusieurs mesures qui contribuèrent à faire diminuer les taux : communication régulière (forward guidance) pour guider les anticipations des investisseurs, prêts aux banques à long terme et plus seulement à court terme, et même le quantitative easing, rachats massifs d’actifs afin d’accroître la liquidité et provoquer de l’inflation. Cet ensemble de nouvelles mesures dites “non-conventionnelles” ont contribué à faire infléchir les taux des OAT de l’ensemble des pays de la zone euro.
Les taux des OAT ont alors décru continûment, au point que plusieurs pays ont franchi le seuil de 0 %, dont la France en juillet 2019. Cela signifie qu’un investisseur qui place son argent en achetant une obligation d’État récupérera une somme légèrement inférieure à son placement initial. Dans un contexte d’excès d’épargne mondial (global saving glut) et d’une préférence croissante des investisseurs pour les obligations d’États, les rendements des obligations de plusieurs pays ont donc pour la première fois basculé en territoire négatif. Les investisseurs n’hésitaient pas à investir dans les OAT, qui font office de valeurs refuges (actifs très liquides et peu risqués) par rapport aux autres titres.
Après des années de baisse des OAT, la forte hausse de l’endettement public et l’incertitude liée à la crise du COVID-19 fut à nouveau un facteur de hausse de ces taux, qui commencèrent à connaître un rebond début mars 2020. La BCE ne tarda cette fois pas à réagir : quelques jours plus tard, sa nouvelle présidente Christine Lagarde annonça un programme de rachat d’urgence de dettes de 750 milliards d’euros, afin de soutenir au plus vite les États en facilitant leurs leviers de financements.
Vincent Leday