Les efforts à fournir pour inventer une société plus sobre en carbone et énergétiquement efficaces doivent être multidimensionnels et nombreux. Ces efforts se traduisent dans la loi [i] depuis l’accord de Paris en 2015, où les États membres de l’UE se sont engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050. La France, elle, à inscrit dans son Code de l’énergie (article L100-4 [ii]) l’objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % entre 1990 et 2030. Or, sur le graphique ci-dessus, nous pouvons voir qu’en 2018, la France émettait 17 % moins de GES qu’en 1990, l’année de référence (-21 % d’émission de GES pour l’UE).
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et tenir les enjeux climatiques de l’accord de Paris, donner un prix au carbone est un levier primordial. Premièrement, il permet de responsabiliser les entreprises émettrices en internalisant le coût des dommages liés à leurs activités (dommages environnementaux, dommages sanitaires, etc.) et pèse sur les prix à la consommation des produits carbonés (ce qui décourage leur consommation). Deuxièmement, le « signal-prix carbone » renchérit le coût de production des technologies carbonées, et rend de fait l’investissement dans des modes de production moins carbonées davantage compétitif. In fine, un prix du carbone élevé a pour effet d’élargir le périmètre des actions sectorielles et des investissements publics pertinents dans la lutte contre le changement climatique, et rend avantageux la substitution des modes de production carbonées par d’autres moins émetteurs.
C’est en suivant ce raisonnement qu’en Europe, le Système d’Échange de Quotas d’Émission (SEQE ou EU ETS) instauré en 2005, crée un marché d’échange de droit à émettre (« Le marché des droits à polluer, R. Coase », Partageons l’éco [iii]). Il repose sur un principe de plafonnement et d’échange des droits d’émission. Un plafond est fixé pour limiter le niveau total de certains gaz à effet de serre pouvant être émis par les installations couvertes par le système (à savoir : aviation, transport maritime, installations de combustion, raffineries de pétrole, fours à coke, usines sidérurgiques, usines de fabrication de ciment, verre et bientôt transport routier et bâtiment, responsables d’environ 45 % des émissions de GES de l’Union européenne). Ce plafond diminue progressivement afin de faire baisser le niveau total des émissions. Dans les limites de ce plafond, les installations achètent ou reçoivent des quotas d’émission qu’elles peuvent échanger avec d’autres installations en fonction de leurs besoins. Avec le SEQE, le prix du carbone est donc un prix de marché, déterminé par la confrontation de l’offre et de demande de permis d’émissions de CO2. Le 23 septembre 2021, il atteint environ 61 €/tonne de CO2.
Pour une évaluation ex-post, les émissions de GES des installations concernées par le SEQE ont diminué de 42,2 % entre 2005 et 2020. Cependant, il semble nécessaire de développer davantage et d’étendre ce mécanisme pour atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est là tout le sens du lancement de la « phase 4 » du marché carbone européen, initiée le 14 juillet 2021. Cette dernière étape de développement du SEQE est la plus longue et la plus ambitieuse compte tenu des défis qu’elle doit relever. D’abord, il s’agit d’abaisser une fois de plus le nombre de quotas d’émission distribués chaque année (cela revient à restreindre l’offre sur le marché). En conséquence, les industries concernées auront moins de marge et devront décarboner plus rapidement leurs productions au fur et à mesure du rationnement des droits à polluer. Ensuite, certains secteurs comme l’aviation ne bénéficieront plus de quotas gratuits comme c’était le cas auparavant. Enfin, les émissions du transport maritime seront intégrées à ce même marché. Ces mesures ont pour objectif de structurellement hausser le cours de la tonne de CO2 (en restreignant l’offre et en augmentant la demande).
En ce qui concerne les secteurs du transport routier et du bâtiment, qui peinent à faire diminuer leurs émissions, il sera créé un nouveau système d’échange de quotas d’émission distinct pour la distribution du carburant dans les transports et les bâtiments. Cette mesure risque d’impacter la facture de chauffage et d’essence des citoyens européens. Certains analystes pointent le risque politique et social associé.
En effet, il faudra tenir compte des dépenses supplémentaires que les citoyens européens devront engager pour leur transition énergétique. Et d’autant plus que le SEQE n’est pas le seul moyen de donner un prix au carbone (et donc de créer un coût à son émission). Ce prix peut être déterminé par un marché, par un dispositif fiscal ou les deux en même temps [iv] (comme c’est le cas en France avec la Contribution Climat Énergie ou “taxe carbone”). Comme le montre l’Institut pour l’Économie du Climat (I4CE) l’éventail des prix du carbone observés dans le monde en 2020 va de quelques euros au Mexique à plus de 100 euros en Suède [v]. Il existe donc une pluralité d’instruments pour imputer plus ou moins directement à l’utilisation de technologies carbonées leur impact sur notre climat, pesant tant sur le producteur que sur le consommateur. La question des amortisseurs sociaux est donc indissociable de celle du prix du carbone.
Maxence Dolais
Références :
[i] Décret n° 2016-1504 du 8 novembre 2016 portant publication de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016
[ii] Article L100-4 – Code de l’énergie
[iii] Le marché des droits à polluer, R. Coase (Fiche concept), Partagegeons l’éco,, novembre 2020.
[iv] Aller plus loin sur la détermination du “bon prix du carbone” avec « La valeur de l’action pour le climat », 2019, Rapport de la commission présidée par Alain QUINET
[v] Panorama mondial des prix explicites du carbone, I4CE, 2016
Données :
DBnomics : Greenhouse gas emissions, base year 1990