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La théorie du cycle de vie, Modigliani (Fiche Concept)

La théorie du cycle de vie

La théorie du cycle de vie a été développée par Harrod (1948), Modigliani et Brumberg (1954). Si elle est souvent attribuée à Modigliani, c’est que ce dernier a obtenu le prix Nobel d’économie pour récompenser son travail sur la consommation et l’épargne.

La théorie du cycle de vie permet de modéliser le comportement de consommation et d’épargne des individus selon leur âge. L’idée est que les individus vont accumuler de l’épargne pendant les périodes d’activité pour ensuite désépargner pendant leurs vieux jours afin de maintenir leur niveau de consommation. Ces comportements supposent que les individus sont rationnels et donc qu’ils maximisent leur utilité en procédant à une « allocation intertemporelle » de leur consommation et de leur épargne.

Pour que le modèle du cycle de vie développé par Modigliani fonctionne, il est nécessaire de faire plusieurs hypothèses concernant les agents économiques. Les agents doivent être rationnels et égoïstes (car ils ne laissent pas d’héritage), mais il faut aussi qu’ils connaissent leur espérance de vie, leurs revenus futurs et les taux d’intérêt futurs. D’autres hypothèses sur les conditions de marché sont nécessaires. Les deux principales concernent la perfection des marchés de capitaux et l’absence d’incertitude sur les rendements.

Finalement, le modèle déconnecte la consommation du revenu actuel dans la mesure où celle-ci devient surtout une fonction du revenu sur l’ensemble du cycle de vie. Cette théorie tranche donc avec la loi psychologique de Keynes (1936), selon laquelle les revenus des ménages ne dépendent pas d’un horizon temporel long (le cycle de vie) mais seulement des revenus courants. Graphiquement, on peut décomposer la théorie du cycle de vie en trois périodes :

  • Jeunesse : la consommation est supérieure au revenu et le patrimoine est négatif. Les agents doivent emprunter.
  • Période d’activité : les revenus deviennent supérieurs à la consommation car les agents font le choix d’épargner et de constituer un patrimoine pour financer la consommation de la troisième période.
  • Retraite : les revenus diminuent mais les agents utilisent leur patrimoine pour maintenir (voir augmenter) leur consommation.

Ainsi « lissée », la consommation est une droite croissante dans le temps, sans volatilité.

Source : captaineconomics.fr

 

Dès lors, cette théorie du cycle de vie permet de faire des conjectures en cas de vieillissement de la population. Le vieillissement de la population a pour premier effet de voir la part des individus âgés (+65 ans) représenter une part de plus en plus importante au sein de la population totale. En conséquence, la structure de l’épargne et de la consommation totales est affectée dans la mesure où celles-ci dépendent de l’âge (hypothèse du cycle de vie). En l’occurrence, la consommation ne devrait pas diminuer et les ménages devraient désépargner pour la financer. Il y aurait donc une diminution du patrimoine total pour maintenir la consommation.

Pour autant, cette théorie du cycle de vie est sujette à de nombreux débats et ne se vérifie pas toujours. Par exemple, Merton (1987) avait déclaré que ce modèle élémentaire avait structuré la réflexion autour de la consommation et de l’épargne non pas pour son adéquation aux faits mais pour son originalité, sa simplicité et sa rigueur logique. À l’appui de plusieurs données et travaux, il semble possible de remettre en cause l’hypothèse du cycle de vie.

Premièrement, les plus âgés ne maintiennent pas leur consommation dans le temps. Celle-ci diminue avec l’âge. En effet, les enquêtes de l’INSEE permettent d’identifier que les dépenses de consommations diminuent avec l’âge, passant d’une moyenne de 33 000 euros chez les 40-49 ans à 19 500 euros chez les 70-79 ans (2006, INSEE). Deuxièmement, les plus âgés ne diminuent pas leur épargne, au contraire ils continuent d’épargner. Selon les données du Global Findex 2017 ce sont les +65 ans et les 56-65 ans qui ont le taux d’épargne le plus élevé pour le motif « vieillesse ». L’hypothèse du cycle de vie est aussi infirmée par les niveaux de revenus des plus âgés, soutenus par des systèmes de retraite et d’aides. En effet, dans la plupart des pays de l’OCDE qui sont confrontés au vieillissement de la population, les +65 ans ont un niveau de revenus moyens quasiment équivalent à celui de l’ensemble de la population. Ce niveau de revenus est même parfois supérieur, c’est par exemple le cas de la France. Enfin, si les plus âgés continuent d’épargner ce n’est pas seulement parce que leurs revenus n’ont pas tant diminué avec l’âge, mais aussi parce qu’ils ont la volonté de transmettre un patrimoine. Cette idée a d’ailleurs été illustrée dans des modèles plus récents comme celui de Barro qui parle d’un « altruisme » des individus et non « d’égoïsme ».

Enfin, si cette théorie ne se vérifie pas toujours de façon empirique, elle suppose aussi des hypothèses très fortes qui peuvent être remises en question. Deux peuvent être citées : premièrement, cette théorie de la répartition intertemporelle des revenus suppose que le consommateur est un agent rationnel, capable d’adopter un comportement dit « prospectif ». Ils anticipent leurs besoins à l’avenir, conjecturent leurs revenus et les taux d’intérêt auxquels ils feront face dans le futur.  Si la rationalité des agents en économie est une hypothèse centrale de nombreuses modélisations économiques, elle est réfutée par plusieurs travaux. Par exemple, dans les années 1970, le psychologue D. Kahneman (Nobel d’économie 2002) affirme que les agents font des erreurs de perception, de jugement, de calcul et ne peuvent donc être rationnels. Deuxièmement, la théorie du cycle de vie suppose que les marchés financiers sont parfaits et permettent donc de transférer l’argent des agents ayant différents horizons temporels. Toutefois, dès 1981, R. Shiller (Nobel d’économie 2013) a mis en évidence les limites de l’hypothèse de perfection des marchés financiers en montrant qu’ils peuvent connaître des « anomalies » comme des périodes d’affolement ou de bulles spéculatives en raison d’un manque de prudence sur ces marchés (« exubérance irrationnelle » selon les termes de Schiller).

Simon Cardoen