Washington et Pékin ont signé dimanche un accord d’apaisement visant à relancer le dialogue économique et éviter un découplage aux conséquences systémiques. Si ce signal positif semble marquer une volonté de réinscrire les relations commerciales dans un cadre multilatéral, l’Europe observe avec prudence ce rapprochement. Dans l’ombre de cette trêve, les tensions structurelles demeurent.
Un accord d’apaisement pour conjurer le spectre du découplage
La rencontre bilatérale tenue ce dimanche entre les représentants du Trésor américain et ceux du ministère chinois du Commerce a débouché sur un accord qualifié « d’apaisement structurant » par les deux parties. Au cœur des discussions : la volonté affichée de stabiliser les relations économiques, de renforcer la transparence des dispositifs de subvention et d’éviter toute mesure qui viserait explicitement à entraver les flux commerciaux entre les deux premières puissances mondiales.
Les États-Unis ont reconnu « la nécessité d’une architecture commerciale ouverte et fondée sur des règles », un discours rare depuis l’ère Trump, marquée par des droits de douane massifs et une rhétorique ouvertement protectionniste. De son côté, la Chine a réaffirmé son attachement à un commerce mondial « non discriminatoire et multilatéral », tout en appelant à la levée des restrictions américaines sur les exportations de technologies critiques, notamment les semi-conducteurs et les équipements d’intelligence artificielle.
La déclaration conjointe publiée dimanche insiste sur un objectif commun : empêcher un découplage systémique de leurs économies. En d’autres termes, éviter une rupture brutale des chaînes de valeur mondiales, qui alimenterait une inflation durable, ralentirait l’innovation et mettrait en péril la stabilité de nombreux pays émergents dépendants de ces flux.
En toile de fond, les deux puissances semblent ainsi revenir à une logique de « concurrence gérable », dans un esprit voisin de celui qui prévalait avant la guerre commerciale de 2018. Toutefois, la prudence reste de mise : cet accord n’est ni un traité commercial formel ni une garantie de désescalade durable. Il s’agit d’un cadre de négociation temporaire — 90 jours pour poser les jalons d’accords plus ambitieux — dans un climat encore largement conflictuel.
L’Europe, entre ajustement stratégique et pression bilatérale
Alors que les États-Unis et la Chine reprennent le fil du dialogue, l’Union européenne se retrouve confrontée à un double défi : défendre ses intérêts économiques dans un contexte de rivalité entre les deux géants, tout en affirmant une position indépendante.
Jusqu’ici, Bruxelles avait tenté de naviguer entre Washington et Pékin via un subtil exercice d’équilibre. Mais le réchauffement sino-américain pourrait rebattre les cartes, notamment sur les questions d’accès au marché, de subventions industrielles ou de normes environnementales. D’autant que les discussions commerciales entre la Chine et les États-Unis pourraient aboutir à des accords sectoriels qui, de facto, marginaliseraient les entreprises européennes.
Dans ce contexte, certaines initiatives européennes sont perçues à Pékin comme des signaux hostiles. C’est notamment le cas de la proposition de loi française visant à taxer les produits issus de la fast fashion, un texte visant directement les plateformes chinoises comme Shein ou Temu. Officiellement justifiée par des considérations environnementales, cette mesure est regardée avec suspicion en Chine, où elle est analysée comme une tentative de protectionnisme déguisé.
Des sources diplomatiques à Pékin évoquent déjà, en off, une possible « réponse proportionnée », notamment sous la forme de restrictions ciblées sur les importations de vins, de cosmétiques ou de produits agroalimentaires français — des secteurs considérés comme symboliques du savoir-faire tricolore et sensibles aux variations de demande. Ce scénario rappelle les tensions récentes autour des panneaux solaires ou des voitures électriques, qui ont vu la Chine riposter aux enquêtes européennes par des menaces de rétorsion ciblée.
Dans ce contexte, la Commission européenne devra clarifier sa position : encourager la régulation environnementale sans tomber dans des mesures perçues comme discriminatoires, tout en maintenant un dialogue économique ouvert avec la Chine. Une tâche d’autant plus délicate que Washington pourrait exiger un alignement stratégique accru face à Pékin dans les mois à venir.
Une trêve fragile dans un paysage commercial instable
Malgré les apparences, la détente sino-américaine reste éminemment fragile. Les négociateurs n’ont donné que 90 jours pour trouver un terrain d’entente sur des sujets qui, historiquement, prennent des années à se stabiliser : subventions industrielles, respect des droits de propriété intellectuelle, égalité d’accès aux marchés publics, encadrement des exportations technologiques…
De nombreux observateurs évoquent un calendrier irréaliste. La dernière série de négociations d’envergure — qui avait débouché sur le très partiel « phase one deal » signé en 2020 — avait nécessité plus de 18 mois d’intenses discussions, pour des résultats largement incomplets. Depuis, les contentieux se sont multipliés : accusations d’espionnage industriel, sanctions sur les composants électroniques, restrictions de visas pour les chercheurs, tensions dans le domaine des câbles sous-marins ou des infrastructures cloud.
En outre, les positions de fond demeurent éloignées. Si Pékin refuse toute remise en cause de son modèle économique dirigiste, Washington entend défendre une économie de marché fondée sur la compétition équitable. Les désaccords sur le rôle de l’État dans l’économie, les transferts technologiques ou encore la régulation du numérique sont donc loin d’être résolus.
Autre inconnue : la variable politique. La campagne présidentielle américaine de 2024 promet d’intensifier les postures nationalistes, quelle que soit l’issue du scrutin. De son côté, Xi Jinping reste confronté à un ralentissement économique et à une pression croissante sur sa stratégie industrielle. Dans ce contexte, toute concession majeure est politiquement risquée pour les deux capitales.
Enfin, au-delà du face-à-face sino-américain, c’est l’avenir même du système commercial multilatéral qui se joue. L’OMC, affaiblie par des années de paralysie, peine à jouer son rôle d’arbitre. Et les initiatives régionales (comme le RCEP ou l’Indo-Pacific Economic Framework) semblent désormais dicter l’agenda global, au détriment d’une gouvernance universelle du commerce mondial.
L’accord conclu dimanche entre la Chine et les États-Unis constitue un signal positif pour les marchés mondiaux. Il permet d’éviter, à court terme, une escalade commerciale aux conséquences potentiellement catastrophiques. Mais il ne saurait être interprété comme un tournant décisif tant les divergences de fond demeurent profondes.
Pour l’Europe, l’enjeu est désormais de jouer une partition claire et cohérente. Face à la recomposition des rapports de force, elle doit éviter d’être reléguée au rang de variable d’ajustement. Cela suppose de défendre ses intérêts, d’assumer ses choix réglementaires — notamment en matière de transition écologique — tout en évitant les effets de bord protectionnistes qui pourraient la placer au cœur de futures représailles.
Le libre-échange, s’il doit survivre, passera nécessairement par des compromis intelligents. La trêve actuelle offre une fenêtre étroite pour les définir. Mais elle ne garantit ni la paix commerciale, ni la stabilité géopolitique.