La règle de Taylor, J. Taylor (1993)
Quand la politique monétaire va au-delà de l’inflation
Si la maîtrise de l’inflation demeure l’objectif premier et parfois exclusif des banques centrales, ces dernières s’approprient toutefois d’autres objectifs plus ou moins affichés. Face à l’augmentation du chômage et la baisse de la croissance, la seule poursuite d’une maîtrise de l’inflation est souvent considérée comme incomplète pour garantir le bon fonctionnement de l’économie. John B. Taylor, professeur à l’université de Stanford, inventa un outil novateur afin de ne plus se limiter au taux d’inflation : la règle de Taylor. Énoncée en 1993, cette règle cherche à expliquer l’évolution du taux directeur de la FED entre 1987 et 1992. D’une description ex post de la politique monétaire, cette équation a attiré l’attention des banquiers centraux, faisant d’elle une règle de référence à portée normative. Popularisée par une étude de Goldman Sachs en 1996 puis fréquemment évoquée lors des débats concernant la politique monétaire, la règle de Taylor a pour ambition de définir une ligne de conduite claire s’imposant aux autorités monétaires. Elle se fonde sur le calcul d’un taux directeur de court terme, supposé optimal, compatible avec l’objectif d’inflation de la Banque Centrale ainsi que sur l’écart de production (différence entre la croissance actuelle et la croissance potentielle).
Elle se formalise ainsi : it = rn + πt + α (yt-yt*) + β (πt-π*) [i]
JB. Taylor a appliqué sa règle à l’économie américaine de 1987 à 1992 : it = 2+ π + 0,5 (yt-y*) +0,5 (πt-2) it = 1 + 0,5 (yt-y*) + 1,5 πt. Une augmentation d’un point de l’écart de production tend ici à entraîner une hausse du taux d’intérêt de 0,5 point, tandis qu’une hausse d’un point de l’inflation entraîne une hausse du taux d’intérêt de 1,5 point.
En théorie, la règle de Taylor a un effet stabilisateur : si l’inflation est supérieure à la cible d’inflation, la règle de Taylor invite la banque centrale à augmenter le taux d’intérêt nominal, ce qui se traduit par une hausse du taux d’intérêt réel à court terme, censé réduire l’inflation. À l’inverse, si l’inflation est inférieure à la cible d’inflation fixée par la banque centrale (0,3 % selon les dernières estimations pour la BCE, loin d’un objectif de 2 %) et si l’écart de production est négatif (PIB réel inférieur à son PIB potentiel), la banque centrale est encouragée à être plus accommodante et à diminuer ses taux. C’est une des explications de la baisse des taux d’intérêts des banques centrales : les écarts d’inflation et de production sont négatifs, tendant à faire baisser les taux directeurs.
Il existe de multiples règles de Taylor
La période étudiée par Taylor (de 1987 à 1992) illustre assez bien la politique monétaire menée par la FED. Toutefois, les études montrent qu’il est peu évident de transposer la règle de Taylor à la situation contemporaine de la zone euro. En s’appuyant sur les chiffres de 2014 à 2019 (croissance d’1,6 en moyenne, inflation de 0,9, croissance potentielle d’environ 2 %), la règle de Taylor aurait été de 1,6 + 0,3 + 0,5 (1,6-2) +0,5 (0,9-2) = 1,15%. On constate que la règle de Taylor d’origine donne un taux d’intérêt nominal éloigné du réel taux directeur que fut celui de la BCE à cette période, de près de 0 %.
Bien que simple en apparence, la règle de Taylor est donc un outil à manier avec précaution. Les résultats observés dépendent fortement du niveau des coefficients α et β de l’équation, établis arbitrairement selon l’importance accordée à la lutte contre l’inflation ou au soutien à la croissance. Fixés initialement à 0,5 par JB. Taylor pour le cas américain, les coefficients de pondération α et β peuvent prendre des valeurs différentes selon les pays. En 1999, l’économiste a lui-même augmenté β au-delà de 1 afin que le taux nominal augmente plus que proportionnellement que l’écart d’inflation (empêchant le taux réel de diminuer et finalement de réduire les tensions inflationnistes). Considérant les différentes situations économiques de chaque pays ainsi que les divers objectifs poursuivis par ces derniers, la règle de Taylor est donc variable selon les banques centrales.
Par ailleurs, la règle de Taylor a la particularité d’être fondée sur l’inflation et la croissance antérieure. Or, il est difficile d’accorder ces indicateurs passés, volatiles et non immédiatement exploitables, avec la situation présente (il faut au moins plusieurs semaines avant que les derniers chiffres de l’inflation et de la croissance soient connus). Afin que la règle puisse avoir un caractère prescriptif, il faut que le comportement futur de la banque centrale soit le même que son comportement historique. Cela implique donc une stabilité des coefficients et des variables explicatives. La règle est ainsi difficilement utilisable pour fixer un taux directeur optimal en temps réel. Aujourd’hui, la plupart des règles de Taylor ne se fondent ainsi plus sur les derniers résultats économiques observés, mais sur des prévisions de ces derniers (notamment l’inflation anticipée). La règle de Taylor n’est donc pas faite pour anticiper la politique monétaire d’une banque centrale, mais est toutefois utile pour décrire les variations passées des taux directeurs en fonction de l’inflation et de la croissance, et ainsi mieux comprendre l’évolution de la politique monétaire.
Vincent Leday
[i] it représente le taux d’intérêt nominal idéal (taux directeur fixé par la banque centrale). Ce taux est positivement relié à l’écart entre PIB actuel et potentiel (yt-y*), ainsi qu’à l’écart d’inflation réel avec l’inflation ciblée (π-π*). rn est le taux d’intérêt réel (taux nominal corrigé de l’inflation) d’équilibre, aussi appelé taux d’intérêt réel neutre. Dans la règle de Taylor, il est égal au taux de croissance tendanciel de l’économie (yt*), correspondant à une croissance soutenable sans inflation excessive. yt est la croissance observée, soit l’évolution moyenne du PIB observée les années précédentes. yt* reflète le PIB potentiel, variation maximale du PIB qui pourrait être réalisée grâce à la pleine utilisation des facteurs de production disponibles. πt est l’inflation actuelle. π* est l’inflation ciblée par les autorités monétaires. α et β sont les coefficients de pondération. Ils doivent être supérieurs à 0 pour relier positivement le taux d’intérêt nominal it avec l’écart d’inflation réel et l’inflation ciblée, ainsi qu’à l’écart entre PIB actuel et potentiel. α et β sont fixés à 0,5 dans la règle de Taylor d’origine, ces chiffres étant selon lui plutôt conformes aux décisions de la FED à l’époque.
Références :
B. Taylor, “Discretion Versus Policy Rules in Practice”, Carnegie-Rochester Conference Series on Public Policy, 1993, n°39
Règle de Taylor : présentation, application, limites”; Bulletin de la Banque de France n° 45 – septembre 1997
G. Levieuge, “Règle de Taylor vs Règle-ICM, Application à la zone euro”, Revue économique – vol. 57, N°1, janvier 2006, p. 85-112
Glenn D. Rudebusch. « Monetary Policy Inertia: Fact or Fiction?, » International Journal of Central Banking, 2006.